Une force inquiétante et multiple

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Les partis de droite radicale sont désormais installés dans la quasi-totalité des États membres de l’Union européenne. Cinquième groupe politique au Parlement européen en nombre d’élus, l’extrême droite y forme une famille relativement hétérogène et porte-drapeau d’enjeux nationaux plus qu’européens.

Les 705 eurodéputés élus il y a cinq ans se répartissent en sept familles politiques. Deux d’entre elles regroupent les partis d’extrême droite. Le groupe Conservateurs et réformistes européens (CRE) compte 64 eurodéputés issus de 18 États membres. On y trouve le parti d’ultradroite polonais, le PiS (le plus important en nombre de sièges), devant les Frères d’Italie, les différents partis néerlandais, les nationalistes espagnols de Vox, le Parti démocratique civique de République tchèque, l’Alliance néoflamande (N-VA) de Belgique, les Démocrates de Suède (SD) et, depuis février 2024, Reconquête ! avec le Français Nicolas Bay.

Le deuxième groupe à droite de la droite, Identité et Démocratie (ID), était la plus petite formation jusqu’en 2019. Aujourd’hui, il pèse autant que le CRE avec 64 eurodéputés issus de huit pays. La Ligue (Lega) de Matteo Salvini en est la principale délégation, devant le Rassemblement national (RN) et ses 23 élus menés par Jordan Bardella, Alternative pour l’Allemagne (AfD), le Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) et le Vlaams Belang (VB) belge, Liberté et Démocratie directe (République tchèque), les délégations estonienne et danoise.

« Ces deux groupes sont tout sauf homogènes, explique Jérôme Jamin, politologue à l’Université de Liège. En surface les députés parlent “Europe” mais ils restent très influencés par des enjeux nationaux et les aspects idéologiques les divisent fortement. Certains sont laïques, d’autres catholiques intégristes ; certains sont clairement antisémites, d’autres voient dans Israël le bouclier contre “l’islamisation du monde” ; certains défendent l’homosexualité ou l’avortement, d’autres y voient la main de Satan. »

Il y a aussi des différences historiques entre les extrêmes droites à l’ancienne et les droites radicales ou ultradroites qui ont émergé depuis le traité de Maastricht[1].

Le politologue Jean-Yves Camus les classe en deux mouvances principales[2] : les partis les plus anciens s’enracinent dans le fascisme des années 1930. Dans leur version actuelle, ils sont skinheads, hooligans, néonazis. À l’image du NPD allemand, par exemple, beaucoup sont interdits ou surveillés de près.

La deuxième catégorie, celle qui a le vent en poupe dans toute l’Europe, appartient à la famille nationale populiste qui a rompu – du moins en apparence – avec la nostalgie du fascisme. « Ces partis acceptent de jouer le jeu de la démocratie parlementaire, ont des élus à différents niveaux de responsabilité selon les pays, et tiennent des discours désormais considérés comme acceptables et non problématiques par une partie croissante de la population », développe Anne Quinchon-Caudal, maîtresse de conférences à l’Université Paris-Dauphine.

C’est le cas de l’AfD en Allemagne, de la Lega en Italie, du ­Rassemblement national en France. D’un pays à l’autre, leurs discours varient (religion, liens avec la Russie, les États-Unis…) et leur processus de dédiabolisation est plus ou moins achevé, mais l’idéologie qui les rassemble est identique : le mythe d’une nation homogène et le rejet de l’autre (l’immigré, le musulman…), la vision autoritaire de l’État et son corollaire, l’affaiblissement des contre-pouvoirs (judiciaires, médiatiques, constitutionnels, syndicaux…), le populisme qui oppose le peuple souverain aux riches et aux élites.

Une minorité de blocage ?

En première ou deuxième position dans les intentions de vote de beaucoup de pays, ces droites radicales peuvent-elles bousculer l’échiquier politique actuel ? «Oui, répond Pascal Lamy (lire son interview complète), ancien directeur de cabinet du président de la Commission européenne. C’est possible si le principal groupe politique du Parlement, le PPE (Parti populaire européen), devait faire alliance avec elles pour conserver sa majorité à droite. »

Dans ce cas, les eurodéputés d’ultradroite pourraient freiner le travail des parlementaires. Ainsi, une récente étude de la CFDT sur le vote du Rassemblement national pendant la mandature écoulée montre que ce parti n’a pas voté la mise en place d’un salaire minimum européen, ni l’application du principe de l’égalité de rémunération pour un travail de valeur égale entre les hommes et les femmes, ni la résolution contre les violences faites aux femmes, ni la loi européenne sur le climat, ni le soutien à l’Ukraine… Obstruction systématique ou idéologique, la tactique n’est assurément pas en faveur d’une Europe qui protège.

Par Claire Nillus
Journaliste

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1. Maastricht incarne un tournant en 1992 avec l’instauration d’institutions supranationales fortes, le marché unique puis la monnaie unique.
2. Rapport de la Commission d’enquête sur la lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, 2019.

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Pour mémoire :

Peser sur le devenir du service public

Les liens pointent sur le site de la CFDT Fonctions Publiques (UFFA-CFDT)

Partie 1. Le bilan

Partie 2. Nos collègues européens

Partie 3. Une politique européenne ?

Les professions de foi des candidats

Audition des candidates et candidats aux élections européennes

Élections européennes – Campagne et temps forts

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