Semaine de quatre jours : mirage ou avancée sociale?
Publié leConcentrer son travail pour se libérer une journée est une promesse séduisante, mais est-ce vraiment la panacée ?
Selon l’économiste du travail et chercheur au CNRS Philippe Askenazy, qu’il s’agisse d’une réduction du temps de travail ou d’une réorganisation de la semaine, qu’importe : les arguments en faveur de la semaine de quatre jours restent les mêmes, des arguments qu’il qualifie de « managériaux » : « La semaine de quatre jours n’est pas une revendication des organisations syndicales, à l’origine. Elle est née d’une littérature managériale, à partir de cas particuliers comme Microsoft au Japon, qui l’a expérimentée en 2019 », explique-t-il.
En effet, les conséquences de la semaine de quatre jours intéressent les directions : satisfaction des salariés en globalité, baisse des taux d’absentéisme… « Ce qui est vu comme la preuve que les salariés vont mieux. Ce n’est pourtant pas aussi simple que ça », souligne l’économiste.
Augmenter le temps de travail effectif
À ces arguments s’ajoutent aussi la diminution de l’empreinte carbone (moins de déplacements, bureaux moins occupés…), l’égalité femmes-hommes (éviter les mauvais effets du temps partiel, qui concerne en majorité les femmes) ou encore la productivité accrue du capital en raison de journées plus longues. Quid de la création d’emplois ? « Ce n’est pas ce qui motive les entreprises : en luttant contre l’absentéisme, les DRH visent une augmentation du temps effectif travaillé, pas une baisse. Nous sommes donc très loin de l’argument de partage du travail qui accompagnait les 35 heures. […] Avec le Covid, poursuit Philippe Askenazy, sont apparus d’autres arguments pour les entreprises : l’attractivité, se montrer moderne, socialement innovant pour attirer les salariés. » En résumé, promettre un meilleur équilibre vie professionnelle-vie personnelle… à défaut d’avoir des rémunérations attrayantes.
Du côté des salariés, si la formule avec réduction du temps de travail peut faire envie, celle sans, avec ses journées à rallonge, est plus repoussante. À l’Urssaf Picardie, la mayonnaise n’a pas pris car il existait un large panel d’options alternatives proposées aux salariés, mais aussi parce que le public visé ne se retrouvait pas dans les quatre jours (lire ci-dessous).
Chez Accenture, environ 10 % des 10 000 salariés profiteraient de la semaine de quatre jours, mis en place il y a un an, là aussi sans réduction du temps de travail.
Pour autant, « les indicateurs à court terme montrent une satisfaction des salariés qui sont passés aux quatre jours, que ce soit avec ou sans réduction du temps de travail », indique Philippe Askenazy. Cependant, il est nécessaire de rappeler que l’allongement de la durée des journées n’est pas sans conséquences sur la santé des travailleurs : « La fatigue s’accroît, augmentant le risque d’accidents du travail. Ça a aussi des effets psychologiques, physiques, favorisant les maladies cardiaques ou le diabète. »
Négocier entreprise par entreprise
Autre problème soulevé : le manque de dialogue social. « Les directions ont tendance à se passer des organisations syndicales pour mettre en place les quatre jours, agissant “pour le bien des salariés”. Mais les représentants du personnel ont tout intérêt à pousser pour négocier des schémas qui proposent aux salariés des marges de manœuvre et une possibilité d’organisation à chacun », selon Philippe Askenazy.
C’est ce que pense la CFDT, pour qui la semaine de quatre jours ne peut être généralisée à toutes les entreprises et administrations. Sa mise en place doit notamment s’accompagner d’une vigilance concernant le cumul avec le télétravail, qui réduit la présence sur le lieu de travail et la longueur des journées. Et elle ne doit en aucun cas être imposée aux travailleurs. « Je pense qu’il n’y a pas deux entreprises qui ont mis en place la semaine de quatre jours selon les mêmes modalités, résumait dernièrement sur France Inter Marylise Léon, la nouvelle secrétaire générale de la CFDT. Je suis convaincue que, si c’est une aspiration des travailleurs, il faut que ça puisse être négocié entreprise par entreprise. »
À l’Urssaf Picardie, penser la parentalité, un impératif« Les choses ne se sont pas déroulées comme prévu », concède, avec un peu de recul, Anne-Sophie Rousseau. Lorsque la directrice adjointe de l’Urssaf Picardie décide, à la fin 2022, de négocier la possibilité pour les 280 salariés de travailler 36 heures sur quatre jours, elle n’imagine pas que cette mesure (une première dans le service public) ne prendra pas. L’objectif poursuivi était pourtant louable : améliorer la qualité de vie au travail et en faire un « levier d’attractivité » pour compenser des salaires relativement bas. « Lors du sondage réalisé au second semestre 2022, une quarantaine d’agents s’étaient déclarés intéressés pour expérimenter la semaine de quatre jours, se souvient Sylvie Cottel, la déléguée syndicale CFDT. Mais les formules proposées (six au total) ne convainquent pas. À titre personnel, les salariés ne s’y sont pas retrouvés », poursuit la militante. Au final, seuls trois salariés franchiront le pas de l’expérimentation, qui court depuis le 1er mars. Pourquoi si peu ? « Nous sommes passés à côté d’un sujet primordial : celui de la parentalité. Avec des journées de neuf heures sans compter les temps de trajet, vous ne pouvez plus emmener et chercher vos enfants à l’école », reconnaît la direction. Le lancement de l’expérimentation commencée en pleine année scolaire n’a sans doute pas aidé non plus… Malgré tout, les organisations syndicales et la direction ne renoncent pas. Un nouveau sondage a été organisé avant l’été, avec plusieurs assouplissements prévus : possibilité de choisir sa journée de repos, extension du dispositif aux managers et aux cadres au forfait jours, et des journées de travail pouvant être portées à dix heures pour permettre d’avoir d’autres journées de sept heures. « Peut-être que nous n’aurons que dix salariés de plus. Notre objectif, ce n’est pas d’avoir un maximum de personnes à quatre jours, mais d’offrir une souplesse supplémentaire dans l’organisation du travail pour ceux qui le souhaitent », note Sylvie. Cette deuxième phase d’expérimentation pourrait débuter le 1er octobre. En revanche, il n’est pas question pour l’Urssaf Picardie de passer aux 32 heures. Sans baisse de temps de travail, dans bien des endroits, la semaine de quatre jours se révèle donc une équation compliquée. |
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D’après l’article initialement publié par Syndicalisme Hebdo
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