Retraites – Laurent Berger : Tant mieux si nous sommes écoutés
Publié leRetraites – Laurent Berger : Tant mieux si nous sommes écoutés (Le Monde – 28-08-19)
Le secrétaire général de la CFDT se félicite, dans une interview au « Monde », de « l’ouverture » que constitue, selon lui, le changement de pied d’Emmanuel Macron sur la réforme des retraites.
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Article du Monde du 28 août 2019 :
Le secrétaire général de la CFDT se félicite, dans une interview au « Monde », de « l’ouverture » que constitue, selon lui, le changement de pied d’Emmanuel Macron sur la réforme des retraites.
Dans une interview au Monde, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, se réjouit du changement de pied d’Emmanuel Macron sur la réforme des retraites. Lundi 26 août, sur France 2, le chef de l’Etat s’est éloigné de la proposition du haut-commissaire chargé du dossier, Jean-Paul Delevoye, d’instaurer un âge pivot dans le futur système. Et indiqué qu’il préférerait qu’il y ait « un accord sur la durée de cotisation plutôt que sur l’âge » pour bénéficier d’une retraite à taux plein.
Vous qui souhaitiez mettre l’accent sur la durée de cotisation et non sur l’âge de départ à la retraite, estimez-vous avoir été entendu par Emmanuel Macron ?
Nous disions depuis le début que cet âge pivot était une profonde erreur et une injustice. Le président de la République explique désormais, lui aussi, que ce n’est pas la bonne solution. Tant mieux si nous sommes écoutés. L’autre élément très important annoncé par le chef de l’Etat, c’est le fait que cette réforme ne se ferait pas avant une politique de revalorisation salariale et de revalorisation des métiers de la fonction publique hospitalière et des enseignants. C’est aussi un engagement très fort que nous demandions.
Avez-vous été informé en amont ?
Non. Pas du tout.
A quoi peut ressembler un « accord sur la durée de cotisation », comme l’a indiqué M. Macron ?
Au sens légal du terme, un accord sur une réforme des retraites, ça n’existe pas. Il y a une concertation et les partenaires sociaux s’expriment après sur le texte. Un calendrier sur l’allongement de la durée de cotisation a été fixé en 2014 par la loi Touraine. Il faut s’y tenir.
En indiquant qu’il souhaitait que le système soit à l’équilibre en 2025, le chef de l’Etat a laissé entendre que des mesures paramétriques, c’est-à-dire permettant des économies à court terme, seraient prises avant pour y parvenir…
Depuis le début, nous disons que rien ne justifie d’accélérer cette trajectoire. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes opposés à une mesure paramétrique dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale [PLFSS] pour 2020. Nous ne voulons pas de mesures paramétriques. Nous voulons un système plus juste, plus solidaire, avec des droits nouveaux : pénibilité, retraite progressive, augmentation des basses pensions…
Que pensez-vous de l’idée du gouvernement de lancer une « concertation citoyenne » sur le sujet ? Le calendrier de la réforme pourrait-il être détendu selon vous ?
Une consultation citoyenne n’est pas forcément une mauvaise idée, mais à une seule condition : nous ne voulons pas repartir de zéro. Un travail a été mené par le haut-commissaire, Jean-Paul Delevoye, et la concertation, qui a été loyale, a débouché sur son rapport. Sur le calendrier, nous aurons des précisions le 5 septembre, quand nous serons reçus par le premier ministre. Mais mieux vaut ne pas se précipiter et poser les bases d’un système juste. Si ça prend six mois de plus, ça prendra six mois de plus… Nous ne sommes pas dans une logique de réforme urgente.
Si le dossier des retraites va occuper l’essentiel du temps social, quelles sont vos autres préoccupations ?
Il y en a bien d’autres, comme la réduction des inégalités, la pauvreté ou l’évolution du travail. Nous voulons que dans les entreprises, la question de la qualité de vie au travail soit un vrai espace de négociation. C’est cela qui intéresse les travailleurs. Nous avons demandé une négociation au Medef sur ce sujet, qui a refusé.
Pour nous, l’entreprise du XXIe siècle, c’est respecter les hommes et les femmes qui la composent. Elle ne peut pas considérer les travailleurs comme quantité négligeable et ne peut pas se développer sans dialogue social. Nos équipes sont actuellement mobilisées sur la mise en place des comités sociaux et économiques, qui se déroule dans des conditions très dégradées. Et, contrairement à ce que dit Muriel Pénicaud, la ministre du travail, il y a une baisse du dialogue social dans les entreprises.
Selon vous, la crise des « gilets jaunes » est-elle terminée ?
Non. Il suffit de regarder le rapport qui est sorti pendant l’été sur le consentement à l’impôt. Si vous vivez à Paris, il est très fort, si on s’éloigne des grandes agglomérations, ce n’est plus le cas. Il faut agir sur les maisons de services au public – c’est une de nos priorités – et sur les plans territoriaux pour l’emploi, qui n’ont pas du tout marché. On veut aller beaucoup plus loin sur la rénovation thermique des logements. Si le chômage baisse – et c’est très bien –, le chômage de longue durée est toujours aussi important. On attend des gestes forts sur l’insertion professionnelle des personnes les plus éloignées de l’emploi.
Les mesures « gilets jaunes » ne sont-elles pas suffisantes ?
Non, parce qu’elles ne sont pas structurantes et qu’elles n’ont pas forcément fait sens. Mardi, nous avons présenté au premier ministre, qui nous a reçus, huit priorités du « pacte du pouvoir de vivre » que nous portons avec des associations et des ONG. Parmi celles-ci, il y a la question des minimas sociaux. Ils ont décroché par rapport aux salaires, même par rapport au smic. La situation des plus pauvres est de plus en plus problématique. Il faut traiter ces questions. Dans le PLFSS, nous revendiquons une mesure de revalorisation du RSA.
Avez-vous eu le sentiment d’être écouté ?
Il y a des sujets, comme la garde d’enfants, la régulation thermique ou la dépendance sur lesquels le gouvernement est d’accord, mais encore faut-il passer aux actes. Sur les mesures d’urgence, comme les minimas sociaux ou la fiscalité écologique, ça freine. Mais il y a un engagement des ministres à travailler avec nous. Il faut que chacun ait conscience que le mécontentement perdure.
Plus globalement, vous observez un changement de méthode ?
L’acte II du quinquennat a commencé à Genève, avec un discours du président de la République à l’Organisation internationale du travail, puis avec la déclaration de politique générale du premier ministre. Cela a débouché sur la réforme de l’assurance-chômage dont les effets seront désastreux. Nous ne sommes ni des opposants ni des partisans et nous ne cherchons pas à être un interlocuteur privilégié de l’exécutif.
Depuis deux ans, nous avons beaucoup critiqué la méthode. Tant mieux si elle change, mais on le mesurera aux actes, il faut des preuves. L’intervention du chef de l’Etat, lundi, sur les retraites, c’est une ouverture s’il est résolu à ne plus décider tout seul et si une concertation loyale est engagée.
Est-ce que l’unité d’action est encore possible avec la CGT ?
Sur certains sujets, comme le travail par exemple, c’est possible. Entre syndicats, on se parle, il n’y a pas de cordon de sécurité entre nous, mais nous sommes très loin de la CGT actuellement.
Cette absence d’unité ne nuit-elle pas au syndicalisme ?
Si la question est de savoir s’il faut s’unir, la réponse est oui. S’il faut faire des propositions communes, la réponse est oui. L’état du syndicalisme est inquiétant. Je ne porterai pas le fardeau de la désunion syndicale. J’ai sorti mon livre Syndiquez-vous ! [Cherche Midi, 128 p., 7 euros] parce que le syndicalisme souffre d’une image négative, avec des représentants qui ne seraient jamais contents et contre tout. A travers mon témoignage, j’ai voulu montrer que cela ne correspond pas à la réalité du syndicalisme et à l’engagement de milliers de femmes et d’hommes au service de leurs collègues.
Propos recueillis par Michel Noblecourt et Raphaëlle Besse Desmoulières