Report de l’âge de départ à la retraite : une ligne rouge à ne pas franchir
Publié leRéforme des retraites – Report de l’âge de départ à la retraite : une ligne rouge à ne pas franchir (18-03-19)
Par Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT
Lors d’une prise de parole médiatique ce dimanche, Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé, a dit envisager de « proposer un allongement de la durée de travail » dans le cadre de la réforme des retraites. La CFDT tient à rappeler au gouvernement les engagements pris, et à souligner l’enjeu de confiance nécessaire pour mener à terme la concertation en cours et la réforme.
Cette antienne du report de l’âge de départ à la retraite vient contredire les engagements pris par le président de la République avant son élection, et les arbitrages du gouvernement rendus publics lors de la réunion multilatérale du 10 octobre dernier : l’âge auquel les personnes pourront réclamer le versement de leur pension restera fixé à 62 ans.
Ces engagements successifs sont la base sur laquelle la concertation repose. Si les arbitrages sont régulièrement remis en cause, c’est toute la concertation qui s’éteindra. La CFDT demande donc au gouvernement de réaffirmer que la durée d’activité ne sera pas une des variables de la réforme à venir.
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« Allonger la durée de travail » ? « Si c’était un ballon d’essai, c’est une sacrée erreur »
Le Nouvel Obs – 18 mars 2019 – Claude Soula
La ministre de la Santé Agnès Buzyn a dit vouloir « proposer un allongement de la durée de travail ». La CFDT menace de claquer la porte des négociations en cours faute de clarification officielle.
Frédéric Sève est le secrétaire national de la CFDT, chargé notamment de la politique sur les retraites. Il fait partie des interlocuteurs de Jean-Paul Delevoye, le haut-commissaire du gouvernement chargé de piloter la réforme des retraites, et la mise en place d’un régime par points. Il a été très surpris d’entendre Agnès Buzyn, la ministre des Solidarités et de la Santé, revenir sur une des promesses officielles du gouvernement et d’Emmanuel Macron et souhaiter « proposer un allongement de la durée de travail » lors des discussions avec les partenaires sociaux. Il explique sa position à « l’Obs ».
Le gouvernement est-il en train de changer sa position sur la réforme en cours ?
J’ai du mal à analyser les déclarations de la ministre : les régimes de retraite n’ont pas besoin d’être revus avant 2030 ou 2040 au moins. L’augmentation de l’espérance de vie est un problème qui a déjà été réglé par les réformes précédentes, particulièrement par celle conduite par Marisol Touraine en 2013 [elle prévoit une augmentation de la durée des cotations d’un trimestre, tous les trois ans, jusqu’à 2035 : il faudra alors cotiser pendant 43 ans pour avoir une retraite à taux plein, contre 41,5 ans avant la réforme, NDLR]. Donc, Agnès Buzyn est hors sujet quand elle revient sur ce point.
C’est une remise en cause des engagements officiels ?
Il a été dit et redit ces derniers mois, notamment par Agnès Buzyn en octobre, et avant elle par le président de la République en personne, que la réforme en cours, menée par Jean-Paul Delevoye, ne visait pas à faire des économies, ni à revenir sur la question de l’âge. Donc, non seulement Agnès Buzyn est hors sujet, mais en plus, elle est en décalage sur ses propres engagements. Je ne sais pas ce que ça cache. Est-ce une question budgétaire ? On l’avait vu au début du quinquennat avec les changements sur l’indexation des pensions : il est facile de dégager quelques milliards pour les finances publiques en bougeant légèrement le curseur, mais ces mouvements sont scandaleux car les régimes de retraite ne posent pas de problème d’équilibre aux finances publiques. Si on continue ce type de réformes, on aboutira à dégager des excédents. A quoi cela servirait-il puisque le Parlement s’est engagé à ne pas les ponctionner pour les reverser dans le budget général ?
Le régime de retraite français est-il vraiment si favorable ?
Ce qui est récurrent, c’est que ce débat ressurgit tous les trois ou quatre mois : on nous dit que les Français partent plus tôt à la retraite que leurs voisins européens. Mais si on se compare aux autres, alors il faut aussi regarder le reste : d’abord, le taux de pauvreté en France des plus de 65 ans est inférieur à ce qu’il est dans les autres pays. Veut-on aussi revenir là-dessus ? Et ensuite, notre taux de natalité est supérieur à celui de la plupart des pays, et c’est aussi cela qui permet à notre régime de retraite d’être plus favorable. La remise en question de l’âge de départ a donc tout d’une fausse alerte. Jean-Paul Delevoye a déjà fait part de sa surprise sur ces propos.
La parole du président de la République était claire sur ces questions : il n’est pas question de revenir sur l’âge minimal de départ fixé à 62 ans et il n’est pas question non plus, je le répète, de faire des économies. Remettre ce débat sur la table est d’autant plus une mauvaise idée que la déclaration initiale de la ministre – qui souhaite revenir sur la durée de cotisation – a vite été déformée dans les commentaires en « allongement de l’âge du départ à la retraite ». Et ça, c’est un autre paramètre, complètement différent : ce serait inéquitable pour tous ceux qui ont commencé à travailler jeune. Et pour nous à la CFDT, ce serait scandaleux.
Allez-vous continuer à négocier avec le gouvernement ?
Si nous détricotons en mars tout ce qui nous a été promis en octobre, nous arrêtons les discussions avec le gouvernement. Et si c’était un simple ballon d’essai de la ministre, alors c’était une sacrée erreur. Pour faire douter de la sincérité du gouvernement, c’était sans doute la meilleure façon de s’y prendre. Nous attendons donc une clarification officielle le plus vite possible.
Claude Soula