Réforme des retraites : « Nous voyons surtout les perdants, qui sont les plus exposés » (Mylène Jacquot, Uffa-CFDT)
Publié leRéforme des retraites : « Nous voyons surtout les perdants, qui sont les plus exposés » (Mylène Jacquot, Uffa-CFDT – 12-12-19)
Pour Mylène Jacquot, secrétaire générale de l’Uffa-CFDT (CFDT Fonctions Publiques), il manque dans les annonces du Premier ministre du 11 décembre 2019 au CESE sur la réforme des retraites « un certain nombre d’éléments pour que la CFDT y trouve son compte ».
AEF – 12 décembre 2019
« L’intégration des primes et la fin des six derniers mois dans l’assiette de calcul ne permettent pas aujourd’hui de garantir le maintien du niveau de pensions [pour les agents publics]. Certains seront peut-être gagnants mais nous, nous voyons surtout les perdants, qui sont les plus exposés », réagit Mylène Jacquot, la secrétaire générale de la CFDT Fonctions publique, au lendemain de l’intervention du Premier ministre au Cese sur la réforme des retraites. Les annonces d’Édouard Philippe, en particulier celle d’un « âge d’équilibre » à 64 ans, avec un système de bonus-malus, ont provoqué la colère de la CFDT, qui a décidé d’appeler elle aussi à la mobilisation le 17 décembre 2019. Par ailleurs, « nous sommes encore loin du compte en matière de pénibilité », insiste Mylène Jacquot, qui défend la révision des critères de pénibilité alors que la réforme prévoit de supprimer la catégorie active.
AEF info : La CFDT rejoint la contestation contre la réforme des retraites et la journée de grève et de manifestation du 17 décembre. Quelles en sont les raisons, alors que votre confédération défend le principe d’une réforme systémique ?
Mylène Jacquot : S’agissant d’une réforme systémique des retraites, la CFDT a toujours été claire. Nous portons cette revendication d’un régime universel dont nous avons toujours dit qu’il ne devait absolument pas être uniforme, afin de tenir compte des spécificités des uns et des autres dans la fonction publique comme ailleurs. Par ailleurs, nous souhaitions également que ce système universel soit solidaire, juste. Or, dans les annonces du Premier ministre, il manque un certain nombre d’éléments pour que la CFDT y trouve son compte. Ces sujets ne sont pas traités.
La CFDT a clairement dit hier, après les annonces du Premier ministre, quelle était sa position concernant la reconnaissance de la pénibilité et la question de l’âge pivot. Même si l’habillage peut sembler se rapporter à un dispositif systémique, nous sommes en réalité sur du paramétrique qui, de plus, pénalise les salariés qui pourraient faire valoir leurs droits à 62 ans sans décote en réinstaurant une décote qui les obligerait à prolonger leur activité jusqu’à leurs 64 ans. Or ce sont les cotisants ayant commencé tôt et ne percevant pas les rémunérations les plus élevées, qui seraient concernées et lourdement pénalisés par cet âge pivot. Ce qui explique notre opposition. Se pose aussi la question du niveau de pension pour ceux qui auraient fait une carrière complète au SMIC. Nous ne nous satisfaisons pas des 85 % annoncés.
Pour le volet fonction publique, il a certes été dit que des discussions allaient s’ouvrir pour les enseignants mais ceux-ci représentent 20 % des effectifs de la fonction publique et nous n’avons rien entendu sur les autres agents peu ou pas primés, qui sont nombreux, en particulier au sein de la catégorie C.
AEF info : En ce sens, les annonces du Premier ministre ont été une surprise…
Mylène Jacquot : C’était de fait une mauvaise surprise alors que nous aurions préféré une bonne surprise. Le problème est que nous entendons dans le discours que l’âge de départ à 62 ans et que le dispositif des carrières longues sont maintenus et, immédiatement après, est annoncée la mise en place d’un âge pivot. C’est contradictoire. L’âge d’ouverture des droits à 62 ans est actuellement sans décote dès lors que le nombre de trimestres à cotiser est atteint. Avec la réforme, cela implique l’application d’un malus. Et nous n’avons pas plus de précisions pour les carrières longues.
AEF info : Quelles seraient les conséquences du futur système universel par point pour les agents publics et que revendiquez-vous ?
Mylène Jacquot : Outre les revendications portées au niveau confédéral, pour les agents publics, nous sommes vigilants sur un certain nombre de points. L’intégration des primes et la fin des six derniers mois dans l’assiette de calcul ne permettent pas aujourd’hui de garantir le maintien du niveau de pensions. Certains seront peut-être gagnants mais nous, nous voyons surtout les perdants, qui sont les plus exposés. Nous ne voyons pas le dispositif comme un système de vases communicants. Nous sommes donc toujours en demande de réponses, de discussions et de concertation sur ces sujets.
Nous avons aussi une attente forte sur les sujets pénibilité. Le gouvernement prévoit la fin de la catégorie active – hormis pour les métiers dangereux et exposés tels que les policiers et les pompiers. Nous souhaitons que les dispositifs de pénibilité existant dans le secteur privé soient mis en application dans la fonction publique à condition, bien sûr, de revoir les critères de pénibilité en se basant sur ce qui existait au début de la mise en œuvre de la pénibilité. Or, si l’on en croit les annonces faites hier, le seul critère qu’il est envisagé de revoir, c’est celui du travail de nuit en abaissant éventuellement les seuils. Nous sommes encore loin du compte. Et à propos des métiers dangereux et exposés, pour lesquels le maintien d’un système de bonification a été évoqué, des clarifications sont nécessaires.
Quant aux discussions sur la revalorisation des enseignants, c’est positif mais ce ne sont pas les seuls fonctionnaires ou agents publics, je le répète, à devoir être entendus. Il faudra aussi voir de quelle façon ces discussions avancent. Par ailleurs, il manque encore des précisions, notamment sur les droits acquis et la transition entre les deux systèmes et les fins de carrière. Nous sommes demandeurs d’un aménagement des fins de carrière, or, la seule indication livrée hier est qu’il va y avoir un dispositif qui concernerait les aides-soignantes. Mais là encore, nous ne pouvons pas mener la mise en place d’une réforme d’ampleur du système de retraite en faisant des choix qui ne traiteraient que de telle ou telle corporation. Tenir compte des spécificités ne veut pas dire écarter l’ensemble des 5 millions d’agents de dispositifs qui pourraient être mis en place que pour quelques-uns. L’aménagement des fins de carrière ne concerne pas que les aides-soignantes.
AEF info : La plupart des syndicats de la fonction publique critiquent le manque de dialogue social avec le gouvernement, particulièrement depuis les discussions sur la loi de transformation de la fonction publique. Le dossier « retraite » semble aggraver ce constat. Quelle est votre position en la matière ? La CFDT Fonction publique serait-elle prête à rejoindre l’intersyndicale fonction publique actuelle contre la réforme des retraites ?
Mylène Jacquot : Tout d’abord, en matière de dialogue social, nous ne mélangeons pas tous les sujets. Il y a les sujets propres à la fonction publique telle la loi de transformation de la fonction publique du 6 août 2019 et à propos de laquelle nous avons exprimé notre insatisfaction. Mais nous ne confondons pas le manque de dialogue social et la non prise en compte de ce que nous pouvons porter.
La stratégie que nous avons adoptée nous a permis d’obtenir un certain nombre de modifications de la loi mais aussi des décrets d’application lors de leur examen dans les instances consultatives. Mais le gouvernement devrait davantage nous écouter, notamment, à titre d’illustration, concernant le projet de décret relatif à la mise en œuvre du contrat de projet qui sera soumis au CCFP le 19 décembre prochain. C’est l’un des points sur lequel nous n’avons absolument pas été entendus alors même que nous avions formulé des propositions. La quantité de dialogue social ne fait pas la qualité du dialogue social.
Concernant le dossier retraites en particulier la position de la CFDT, partagée par toutes ses fédérations dont la CFDT Fonctions publiques, est constante depuis le début. Depuis un certain nombre de congrès, nous avons validé la revendication d’une réforme systémique avec la mise en œuvre d’un système universel qui ouvre des droits au premier euro gagné et cotisé toute en étant conscients des difficultés posées et des obstacles à surmonter. Par conséquent, le 17 décembre, la CFDT sera mobilisée sur ses revendications. Des discussions ont lieu sur les modalités de cette journée au niveau interprofessionnel.
Cela étant dit, en termes de mobilisation, la CFDT procède à chaque fois à un examen des modalités d’intervention les plus utiles et les plus productives pour porter et faire avancer nos revendications. Nous n’avons pas de position a priori pour ou contre une intersyndicale. Parfois cela se fait en intersyndicale, notamment dans certains secteurs comme la santé ou les finances publiques. Mais d’autres intersyndicales n’apportent pas forcément un plus aux revendications que la CFDT veut porter. Nous regrettons par exemple que, s’agissant du dernier rendez-vous salarial et de la question du pouvoir d’achat,l’intersyndicale n’ait pas été plus utile et porter davantage de revendications en commun. La mobilisation du 9 mai dernier a permis de porter un certain nombre de sujets mais nous avons peut-être manqué là l’occasion de porter des revendications très concrètes.
Dans le champ fonction publique, les revendications sur les retraites divergent et il faut le respecter. L’intersyndicale de la fonction publique peut donc être à géométrie variable. Ce qui guide la CFDT, c’est bien l’efficacité de la stratégie à mettre en place pour défendre ses revendications. Nous nous mobiliserons donc le 17 avec notre confédération.