Nouvelle taxe sur les autoroutes : des péages plus cher pour les automobilistes ?

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Le Conseil constitutionnel vient d’autoriser la mise en place d’une taxe sur les infrastructures de transport de longue distance, visant plus particulièrement les aéroports et les sociétés d’autoroutes. En guise de réponse, ces dernières promettent d’augmenter les tarifs des péages pour éponger le surcoût.

En septembre 2023, le gouvernement prévoyait dans son budget 2024 une nouvelle taxe qui incluait les grands aéroports et les autoroutes. Une décision prise au nom de la transition écologique, et pour s’attaquer aux profits des sociétés d’autoroutes. Déjà à l’époque, le président de Vinci Autoroutes, Pierre Coppey, a prévenu : « Une hausse des taxes, c’est inévitablement une hausse des tarifs des péages« . (voir notre article du 29-09-23)

Le Conseil constitutionnel a donc validé, ce 12 septembre, la nouvelle taxe pesant sur les infrastructures de transport de longue distance créée par la loi de finances pour 2024 pour financer la transition écologique. L’ensemble des produits attendus de ce nouvel impôt doit abonder le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport (Afit).

Le Conseil avait été saisi via une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par plusieurs gestionnaires d’aéroports français, notamment le groupe ADP (Paris-Charles-de-Gaulle et Orly) mais aussi par la société d’autoroutes Area, filiale du groupe Eiffage, qui faisait également partie des requérants.

En 2023, le ministre de l’Économie Bruno Le Maire avait estimé que cette taxe pouvait rapporter 600 millions d’euros par an. Les trois quarts seraient apportés par le secteur autoroutier et un quart par l’aérien, car seuls les plus gros aéroports (Orly et Roissy, Nice, Marseille et Lyon) sont concernés.

Vinci Autoroutes a estimé de son côté que la taxe lui coûterait 280 millions d’euros pour l’année 2024. Les sociétés d’autoroute ont d’ailleurs fait peser la menace d’augmenter significativement le prix des péages en 2025 pour compenser ce nouvel impôt, ce que le gouvernement contestait, le tarif des péages étant calculé sur la base de l’inflation et des plans d’investissement des sociétés concessionnaires.

En novembre, le groupe Vinci avait déclaré vouloir compenser la taxe par une hausse des prix de l’ordre de 5 %. Le gouvernement avait rappelé que la prérogative de fixer les prix des péages n’était pas celle des sociétés d’autoroute mais bien celle de l’État. « Et comme la taxe n’a pas été reconnue comme spécifique aux sociétés concessionnaires, il ne peut y avoir de compensation sur les prix des péages », précise un exploitant de réseau autoroutier.

Pour rappel, les tarifs des autoroutes, donc liés à l’inflation, avaient augmenté de 2% en février 2022, 4,75% en février 2023, et des hausses comprises entre 2,7% et 3,08% en février 2024, suivant les sociétés d’autoroutes.

Un bras de fer c’était donc engagé. Dans le contrat qui lie l’État et les sociétés d’autoroutes, l’article 32 précise qu’ « en cas de création d’impôt ou de redevance spécifique, ces dernières ont droit à ‘des mesures de compensation tarifaires‘ ». C’est le Conseil d’État qui le dit. Il avait été saisi par Bruno le Maire, précisément sur ce projet de taxe. Pour Vinci Autoroutes, la solution est simple. Cette taxe « inévitablement répercutée« , en vertu de cette clause du contrat.

L’exécutif avait déjà annoncé sa volonté de taxer des concessionnaires autoroutiers tels que Vinci, Sanef ou Eiffage en raison de leur rentabilité jugée excessive, mais le Conseil d’État avait mis en garde (voir plus bas) contre le risque juridique « élevé » de ne viser que les sociétés de ce secteur.

Pour le ministre de l’Économie, la nouvelle taxe prévue dans le budget cible « les infrastructures de transports« , mais pas spécifiquement les autoroutes. La parade serait là : impossible donc d’augmenter les tarifs, précise Bercy : c’est encore la prérogative de l’État. On peut douter que les sociétés concessionnaires s’en tiennent à cet argument.

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Pour mémoire …

Dans un contexte de super profits des sociétés autoroutières, et alors que les problèmes de pouvoir d’achat, liés à une inflation galopante, s’accentuent, le gouvernement, soumis à de fortes pressions politiques, mais aussi de l’opinion publique et des médias, avait cherché des mécanismes pour faire davantage contribuer les sociétés concessionnaires détenues par Vinci, Eiffage ou Abertis. Le débat sur la privatisation de 2006 revient donc sur le devant de la scène. 

Leur rentabilité est exceptionnelle et gonfle les résultats de ces géants des infrastructures et du BTP. Les parlementaires et exécutif, qui voient passer les milliards d’euros de profits de ces groupes (2,2 milliards d’euros pour les autoroutes de Vinci, 1 milliard pour APRR-AREA d’Eiffage), ne cessent de s’interroger sur la conduite à tenir.

Le sujet des superprofits de ces sociétés a été remis à l’ordre du jour par Le Canard enchaîné, qui a révélé, dans son édition du 25 janvier, le contenu d’un rapport de l’inspection générale des finances (IGF) et du conseil général de l’environnement et du développement durable, remis en février 2021 à Bruno Le Maire, Gérald Darmanin (alors ministre chargé du budget) et Jean-Baptiste Djebbari (alors ministre délégué aux transports).

L’IGF, a calculé le « taux de rentabilité interne pour les actionnaires » des sociétés d’autoroutes. C’est-à-dire les Vinci, Eiffage et Abertis. Au moment de la privatisation, l’Etat avait anticipé un taux cible de 7,67 %, indique son rapport de 2021, finalement mis en ligne, le 21 mars, par les sites Caradisiac et Marianne. L’IGF l’estime en réalité à 11,77 % pour les autoroutes de Vinci, et de 12,49 % pour celles d’Eiffage. Il est en revanche de 7,7 % pour Sanef.

Le rapport calcule que pour ramener le taux de rentabilité dont bénéficient Vinci et Eiffage au niveau anticipé en 2006, il faudrait « une diminution des péages (…) de 58 % pour ASF-Escota et de 59 % pour APRR-AREA, ce qui représente une économie de 21 euros environ sur un trajet Marseille-Toulouse ou Paris-Lyon ». Ce, dès 2022 et jusqu’à la fin des concessions.

Le ministre des finances, Bruno Le Maire, avait dit vouloir faire davantage contribuer les sociétés d’autoroutes et l’aérien au financement de la transition énergétique. Bercy ne donne aucun montant, mais ne semble pas prêt à réclamer aux sociétés d’autoroutes autant d’argent que ce qu’elles économiseront sur la durée des concessions grâce à la baisse de l’impôt sur les sociétés au cours du premier quinquennat d’Emmanuel Macron : 7,9 milliards d’euros au total, selon l’ART.

Après maintes hésitations, le Gouvernement souhaitait instaurer une nouvelle taxe sur ces profits, mais avait quand même sollicité l’avis du Conseil d’État. Selon un article de Capital (ci-dessous) le Conseil d’Etat estime qu’il y a un « risque élevé » sur le plan juridique en cas d’une taxe sur les seules sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Il semblerait que Bercy est compris le message du Conseil d’Etat.

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La mise en garde du Conseil d’État sur une possible taxe des sociétés d’autoroutes (Capital)

Alors que le Gouvernement avait sollicité son avis, le Conseil d’État estime qu’il y a un « risque élevé » sur le plan juridique en cas d’une taxe sur les seules sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Par Capital avec AFP – Publié le 13/09/2023

C’est une mise en garde à prendre très au sérieux. La création d’une taxe sur les éventuels « surprofits » des seules sociétés concessionnaires d’autoroutes présente un « risque élevé » sur le plan juridique, avertit le Conseil d’État, dans un avis sollicité par le gouvernement en amont du budget pour 2024. Face à la rentabilité des concessionnaires tels que Vinci, Sanef ou Eiffage, qu’il juge excessive, le gouvernement envisage soit de taxer exclusivement les sociétés autoroutières, soit de taxer l’ensemble des sociétés liées par un contrat de concession avec l’État, un périmètre plus large qui inclut notamment certains exploitants d’aéroports.

Pour s’assurer de la sécurité juridique de ces deux options, l’exécutif a sollicité en avril un avis du Conseil d’État, mis en ligne mardi sur le site de la juridiction administrative et relayé par le journal Les Échos. Une nouvelle taxe ciblée spécifiquement sur les concessionnaires autoroutiers ou un alourdissement de leur fiscalité « présenterait (…) un risque élevé d’être regardée par le juge constitutionnel comme portant une atteinte manifestement disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues », souligne le Conseil d’État.

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La question des compensations

Les concessions liant l’État à ces sociétés stipulent en effet « qu’en cas de modification, de création ou de suppression (…) d’impôt, de taxe ou de redevance spécifique aux sociétés concessionnaires d’autoroutes », ces dernières ont droit à « des mesures de compensation, notamment tarifaires ». De plus, les arguments d' »intérêt général » invoqués par l’État pour neutraliser cette clause sont tous écartés par les magistrats du Palais-Royal. Reste donc la possibilité de taxer plus largement les sociétés liées à l’État par un contrat de concession ou un contrat assimilé.

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Ces entreprises « constituent une catégorie homogène qu’il est loisible au législateur, à des fins de rendement budgétaire, d’imposer de manière spécifique », écrit le Conseil d’État. Mais elle met en garde le gouvernement : si sa taxe élargie a pour « effet pratique de peser exclusivement ou quasi exclusivement » sur les sociétés autoroutières, réputées plus rentables que les exploitants d’aéroports, Vinci, Eiffage et consorts risquent de réclamer la fameuse « compensation » prévue par les contrats de concession en cas de nouvelle taxe.

Par capital avec AFP

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Nouvel article du Canard Enchaîné du 4 octobre 2023 : Le Conseil d’État sabote la taxe sur les autoroutes

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Dessin d’Aurel pour le Monde

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