“Nous allons franchir une nouvelle étape” (Laurent BERGER)
Publié leAvant la cinquième journée de manifestations, la CFDT hausse le ton en exigeant du gouvernement qu’il réponde à ce mouvement d’une ampleur inédite. L’intersyndicale appelle d’ailleurs à mettre la France à l’arrêt le 7 mars – une expression assumée par Laurent Berger, qui parle d’une nouvelle étape de la mobilisation.
Par Jérôme Citron et Téo Mollet pour Syndicalisme-Hebdo
Déjà quatre mobilisations. Nous sommes à l’avant-veille de la cinquième, prévue le 16 février. Que peut-on encore dire aux salariés ?
Il faut leur dire que l’histoire n’est pas écrite. C’est un combat difficile. On le savait quand on s’est lancé. Une majorité de Français sont à présent persuadés, comme nous le martelons depuis le début de la mobilisation, que le report de l’âge légal à 64 ans est une mesure injuste qui frappe surtout les travailleurs intermédiaires et modestes. Le risque, c’est que ces mêmes personnes estiment que la réforme va passer quand même. Il faut les convaincre de continuer à se battre, que rien n’est joué.
Les premières mobilisations ont été exceptionnelles. On ne pensait pas forcément, au début du mouvement, avoir la capacité de mettre autant de salariés dans les rues avec les problèmes de pouvoir d’achat que nous connaissons, avec la fatigue perceptible de la société. Le 16 février, et surtout le 7 mars, nous allons franchir une nouvelle étape. Les militants CFDT doivent poursuivre ce travail de conviction auprès de leurs collègues. C’est leur investissement qui explique que nous avons, pour l’instant, gagné la bataille de la rue comme celle de l’opinion.
Le 16 février, les leaders syndicaux iront tous manifester à Albi. Pourquoi ce choix ?
Outre qu’Albi [Tarn/Occitanie] se situe dans une région qui ne sera pas en vacances dans la période, nous souhaitions braquer le projecteur sur l’un des traits marquants de ce mouvement social : l’énorme participation dans les petites et moyennes villes françaises. C’est un phénomène inédit. Il y a une France du travail qui veut affirmer qu’elle existe, qu’il n’y a pas que les métropoles qui comptent. C’est un phénomène que l’on avait déjà vu avec les gilets jaunes. Il y a une demande de respect, de reconnaissance. C’est une France qui a le sentiment d’être un peu abandonnée. On mesure dans ces territoires le recul des services publics, les difficultés d’accès à la santé, les problèmes de conditions de travail dans les petites entreprises…
“Les gens ont le sentiment que les choses se passent sans eux, qu’ils ne sont pas écoutés. Les pouvoirs publics ne captent plus les réalités de travail pour ensuite construire les politiques sociales.”
Tu fais le lien entre les oubliés de la mondialisation et la mobilisation ?
Les gens ont le sentiment que les choses se passent sans eux, qu’ils ne sont pas écoutés. Ce sont les oubliés du travail. Les pouvoirs publics ne captent plus les réalités de travail pour ensuite construire les politiques sociales. La dévalorisation des travailleurs, la baisse constante du coût du travail, la recherche de productivité à tout prix revient en boomerang. Il n’y a pas qu’une question de reconnaissance monétaire. Je qualifie ce conflit de « post-pandémique » car je suis persuadé que les choses ont bougé dans le rapport des Français au travail. À l’opposé, le gouvernement propose une réforme comptable qui sent les années 1990-2000. Cela n’a pas de sens. Le gouvernement doit répondre aux inquiétudes. Cette réforme n’est soutenue ni par l’opinion ni par le monde du travail. Il faut que l’exécutif en tire les conséquences.
L’objectif de la mobilisation sera-t-il atteint si le gouvernement revient sur l’âge de départ légal à la retraite ?
Franchement, si la Première ministre annonce qu’elle retire l’article 7 du projet de loi qui acte les 64 ans, je crie victoire ! C’est le cœur de cette réforme, qui a été pensée pour faire des économies le plus rapidement possible. Sans cette mesure, c’est tout l’édifice qui tombe à l’eau. C’est pour cela que l’on demande au gouvernement de repartir de zéro. Nous sommes prêts à nous rasseoir à la table des discussions si les 64 ans sont enterrés. C’est la décision la plus sage qui s’impose vu l’ampleur de la contestation.
L’intersyndicale a déclaré qu’il fallait mettre la France à l’arrêt le 7 mars. L’expression fait beaucoup parler. Est-ce à dire que nous entrons dans un nouveau temps de la mobilisation ?
Nous avons organisé ce mouvement avec un grand souci de responsabilité, en gardant à l’esprit qu’il fallait gérer les manifestations dans la durée tout en gagnant la bataille de l’opinion publique. D’où l’idée de ne pas aller trop vite, dans un premier temps. Aujourd’hui, nous devons accélérer. Nous sommes en train de passer à une nouvelle phase.
Cela dit, le gouvernement a encore le temps de répondre d’ici au 7 mars. Alors, oui, nous sommes bien décidés à mettre la France à l’arrêt s’il continue de faire la sourde oreille. Je revendique cette expression, qui ne signifie pas forcément blocages et ennuis pour la population. C’est une journée où il y aura des manifestations, mais aussi une journée où l’on va se poser, où les commerçants vont pouvoir tirer leur rideau quelques heures en signe de solidarité, où les salariés pourront imaginer des choses sur leurs lieux de travail…
Le 7 mars peut être quelque chose de très festif et joyeux. Nous avons encore plusieurs semaines pour nous y préparer. On va passer un cap.
Mais quand on passe un cap, on prend un risque…
Plus de 50 % de la population pense qu’il faut durcir le mouvement, ça valide donc notre stratégie. Mais quand on demande qui est capable d’assumer une semaine de grève, évidemment, il y a moins de monde. D’ailleurs, il n’y a pas réellement de tension au sein de l’intersyndicale sur ce sujet. L’ensemble des organisations, même les plus contestataires, restent prudentes. C’est pourquoi il est impératif de réussir le 7 mars. Il faut que cela soit une immense journée de mobilisation qui prenne de multiples formes. On peut même imaginer des rassemblements d’une heure devant toutes les mairies de France afin d’envoyer un signal sans équivoque au gouvernement. Il va falloir être innovants, ludiques, dynamiques et, bien entendu, pacifiques. Il y aura des blocages et des manifestations mais dans un grand souci de responsabilité, comme nous en avons fait la démonstration jusqu’à présent.
Quid du 8 mars, journée internationale des droits des femmes ?
Je veux être clair : il n’y a pas d’appel de l’intersyndicale à la grève reconductible entre le 7 et le 8 mars. Mais, bien entendu, la journée internationale des droits des femmes du 8 mars nous offre l’opportunité de mettre en exergue ce que la réforme des retraites implique pour les femmes. Soit dit en passant, sur ce sujet aussi, le gouvernement s’est pris les pieds dans le tapis. Il n’a pas fallu longtemps pour démontrer que les femmes seraient particulièrement perdantes avec ce projet.
Le succès de cette mobilisation tient beaucoup à l’unité de l’intersyndicale. Là aussi, nous sommes en train de passer un cap ?
“[L’unité syndicale] est fondée à la fois sur un mot d’ordre commun – le refus de l’âge de départ à la retraite à 64 ans – et sur le fait d’accepter que nous ne sommes pas d’accord sur tout.”
Très certainement. En 2010, j’étais déjà dans le cœur du réacteur, il y avait encore de la défiance entre les organisations. Aujourd’hui, il y a une grande confiance, notamment avec les deux autres grandes centrales avec lesquelles nous sommes souvent en désaccord : la CGT et FO. Cette unité est fondée à la fois sur un mot d’ordre commun – le refus de l’âge de départ à la retraite à 64 ans – et sur le fait d’accepter que nous ne sommes pas d’accord sur tout. Mais quand on décide quelque chose en commun, on s’y tient.
Ce mouvement est aussi le premier dans lequel la CFDT tient son rôle de première organisation syndicale. Et on le montre dans la rue. Les cortèges CFDT sont immenses. Ils étonnent même les autres organisations syndicales, qui ne pensaient pas que nous puissions nous mobiliser avec une telle ampleur. Nous sommes dans un moment où le compromis n’est pas possible et où il faut jouer le rapport de force. Nous l’assumons totalement. Cela fait partie des valeurs de la CFDT, quoi qu’en disent ceux qui crient à la fin du réformisme. Nous ne serons jamais une organisation purement contestataire, là n’est pas la question. Nos militants savent très bien allier mobilisation et dialogue. Ils le font tous les jours dans les branches professionnelles, les entreprises et les administrations.
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