Mécontentement, colère même, l’état d’esprit actuel des Français !
Publié leLa dernière édition de l’enquête d’Ipsos sur les fractures françaises pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne [1] montre que les Français n’ont vraiment pas le moral en cette rentrée 2023. 82 % des Français pensent que la France est en déclin. Ils n’ont jamais été aussi nombreux à penser que c’est irréversible (34 %). C’est particulièrement le cas chez les ouvriers (48 %), moins chez les retraités (29 %). À l’instar de cette différence, ce sondage très riche fait apparaître des clivages entre les différentes catégories sociales et sensibilités politiques sur des sujets aussi différents que leur perception de la situation du pays, leur rapport à l’autorité, les violences, le rapport à l’international, le racisme, l’environnement ou encore leur vision du système politique.
Cet article ne traite que de la perception des Français sur les questions sociales mais nous ne pouvons ignorer la progression des idées d’extrême droite dans l’opinion des Français, leur repli sur soi quand ils sont 74 % à déclarer « qu’on n’est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres » (un peu moins toutefois qu’avant la crise du Covid), leur rejet du politique (83 % ne font pas confiance aux partis politiques). Peut-être plus inquiétant encore, comme en 2018 et 2019, ils sont de nouveau 35 % (+5 pts par rapport à 2022) à penser que « d’autres systèmes peuvent être aussi bons que la démocratie ».
Les Français sont mécontents et en colère
Si 51 % des Français (-9 pts par rapport à 2022) se déclarent « mécontents mais pas en colère », ils sont de plus en plus nombreux à se déclarer « en colère et contestataires » : 45 % (+9 pts par rapport à 2022 et +14 pts par rapport à 2021). Cette progression est particulièrement forte chez les ouvriers (58 %, +13 pts par rapport à 2022). Globalement, c’est tout de même 96 % des Français qui sont mécontents !
Leurs principales préoccupations
La première préoccupation des Français est sans surprise le pouvoir d’achat (46 %). Viennent ensuite la protection de l’environnement (30 %), l’avenir du système social (24 %), le niveau de l’immigration (24 %) et le niveau de la délinquance (19 %). La montée des inégalités sociales (12 %) et la guerre en Ukraine (10 %) sont moins évoquées, deux réponses seulement étant possibles pour les sondés. Il faut noter que le chômage n’apparait dans leurs deux principales préoccupations que chez 5 % des Français. Les Français semblent ainsi avoir intégré que la période du chômage de masse est derrière nous.
La confiance vis-à-vis des institutions
La confiance envers le Président avec 33 % et les députés avec 29 % enregistre une baisse importante en 2023 (-7 pts par rapport à 2022) mais revient au même niveau que les années précédentes. On note au passage un regain d’attrait pour une majorité absolue à l’Assemblée nationale (40 %, +11 pts) par rapport à une majorité relative qui reste encore préférée des Français. Résultat probablement lié à l’image dégradée renvoyée par l’Assemblée nationale durant cette première année de mandat.
Les grandes entreprises (44 %) et notamment les TPE (80 %) gardent un niveau de confiance élevé. La confiance vis-à-vis de l’Union européenne, après une envolée en 2022, revient au niveau des années précédentes (43 %).
La progression enregistrée en 2022 vis-à-vis des syndicats se confirme avec 40 % de confiance. Elle est particulièrement forte chez les salariés (entre 41 et 49 % suivant les catégories), moins chez les retraités (27 %).
Sur le plan économique et social, où en sont les Français ?
Les Français sont toujours très méfiants vis-à-vis de la mondialisation (60 %), à un niveau sensiblement équivalent à celui de ces dix dernières années à l’exception de 2017. L’opinion selon laquelle la mondialisation est une menace est partagée majoritairement par toutes les catégories de salariés (entre 53 % chez les cadres et 64 % chez les ouvriers) et les retraités (67 %).
57 % des Français pensent que pour établir la justice sociale, il faut prendre aux riches pour donner aux pauvres, sentiment en baisse depuis 2021 où ils étaient 60 %. Cette conviction est la plus partagée par les ouvriers et les employés et beaucoup moins par les retraités.
65 % considèrent que « les chômeurs pourraient trouver du travail s’ils le voulaient vraiment ». Ce sont les retraités (78 %) et dans une moindre mesure les cadres (69 %) qui le pensent le plus, ceux qui sont moins concernés par les difficultés d’emploi.
La stratégie du ruissellement ne convainc que 45 % des Français mais cette idée progresse depuis deux ans. Notons que seuls les cadres émettent une réponse positive à l’affirmation « plus il y a de riches plus ça profite à l’ensemble de la société ».
Les Français sont très partagés entre limiter le rôle de l’État ou renforcer son interventionnisme (52 % contre 48 %). Par contre, mis à part en 2022, le sentiment encore majoritaire qu’il y a trop d’assistanat dans la société est en baisse régulière depuis 2016 (56 % contre 70 % en 2016). Ce point de vue est plus partagé par les cadres et les retraités.
Sur les déficits publics, les Français sont divisés en trois blocs assez proches : ceux qui pensent qu’il faut réduire les dépenses (26 %) ; ceux qui pensent qu’il faut augmenter les impôts des entreprises (34 %) et ceux qui considèrent qu’il n’est pas prioritaire de réduire la dette et les déficits publics (32 %). Notons au passage que les Français ne sont que 8 % à vouloir une augmentation importante des impôts des particuliers.
Finalement ce qui ressort de cette enquête, c’est ce qu’exprime son titre : « Les fractures françaises ». Les différences qui ressortent de ce sondage très complet mais aussi de nombreux autres montrent une société en plein désarroi qui ne trouve pas dans la sphère politique républicaine des réponses à ses interrogations. Une enquête à lire intégralement.
Point rassurant toutefois, la confirmation du regain d’intérêt et de confiance porté aux organisations syndicales. Mais ne pas décevoir constitue un défi pour le syndicalisme et particulièrement le syndicalisme réformiste qui va bien au-delà des questions sociales. Il doit montrer que des progrès sont possibles grâce au dialogue et la négociation. C’est un des enjeux de la relance du dialogue social que l’on vit actuellement entre syndicats et employeurs mais aussi entre les partenaires sociaux et l’État.
Notes :
[1] Sondage Ipsos/Sopra-Steria réalisé auprès d’un échantillon représentatif de 1 500 personnes entre le 15 et le 18 septembre 2023 par internet et exploité par la méthode des quotas pour Le Monde, la Fondation Jean Jaurès, le Cevipof et l’Institut Montaigne
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D’après l’article initialement publié par Les Clés du Social
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