Lettre de mission de M. Thiriez sur la réforme de la haute fonction publique

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Lettre de mission de M. Thiriez sur la réforme de la haute fonction publique (08-05-19)

L’Ancien président de la Ligue de football professionnel (LFP), mais aussi énarque et avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, Frédéric Thiriez a été choisi, à 66 ans, par Emmanuel Macron pour réformer la haute fonction publique.

Vous trouverez ci-dessous la lettre de mission que lui a adressé le 1er ministre, Édouard Philippe, le 8 mai.

Également en pièce jointe, l’article du Monde : Frédéric Thiriez : avec la fin de l’ENA, « l’idée est de supprimer la mentalité “grands corps” »

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Le premier Ministre à

Monsieur Frédéric THIRlEZ
Avocat aux Conseils
280 Boulevard Saint-Germain
75007 PARIS

Monsieur,

Le Gouvernement s’est engagé dans une transformation profonde de l’organisation de l’État et de la fonction publique. La haute fonction publique ne peut rester à l’écart de ce chantier de modernisation.

L’État doit beaucoup à sa haute fonction publique et à l’élitisme républicain. Le modèle, élaboré après-guerre, lui a permis de bénéficier d’un recrutement attirant les meilleurs profils au sein de la sphère publique, grâce un processus de sélection méritocratique et à la constitution de filières d’excellence.

Les évolutions de l’État et les écarts croissants avec le secteur privé remettent toutefois en cause ce modèle et son attractivité. En parallèle, des critiques se sont élevées pour dénoncer l’éloignement de la haute fonction publique des enjeux quotidiens des Français et de la réalité de certains territoires, ainsi qu’une insuffisante diversité des talents et des parcours professionnels, notamment du fait d’une trop forte valorisation de la réussite aux concours en début de carrière. Enfin, la gestion des cadres de l’État, qui continue à attirer d’excellents profils, ne permet pas toujours de leur offrir.des parcours de carrière cohérents et motivants.

La réforme de la haute fonction publique devra permettre de répondre à l’ensemble de ces enjeux et relever trois défis majeurs :

  • une sélection exigeante, fondée sur le mérite, qui attire les meilleurs talents, mais aussi les plus divers, au-delà de la seule excellence académique;
  • une formation qui doit continuer à privilégier l’acquisition de compétences professionnelles plutôt que théoriques, et permette une ouverture européenne et internationale tout autant qu’une pratique concrète au plus près du terrain. La formation initiale des futurs hauts fonctionnaires devra également leur permettre d’approfondir leur connaissance des enjeux socio-économiques du pays;
  • un déroulement de carrière qui valorise davantage les mérites tout au long de la carrière, plutôt que la réussite initiale aux concours, et soit construit sur nne gestion des ressources humaines professionnalisée, avec des obligations d’évaluation et de formation continue renforcées, et qui offre des possibilités de parcours diversifiés, y compris en favorisant les échanges public-privé ou des mobilités entre les fonctions publiques et au sein des instances européennes.

Partant de cette triple exigence, je vous demande de proposer le champ pertinent d’application de cette réforme, en le définissant soit par les écoles de formation, soit par les fonctions exercées, et de formuler des propositions à la fois précises et ambitieuses visant à :

1) Revoir les modalités de recrutement des hauts fonctionnaires en mettant en place une sélection exigeante, ouverte à la diversité des talents : tout en conservant un accès par la voie méritocratique du concours, il s’agit de mettre fin aux biais de sélection qui entravent l’accès à la haute fonction publique à des talents issus d’horizons divers. Vous pourrez proposer toute mesure visant à créer une haute fonction publique plus diverse. Vos propositions devront « déverrouiller» les voies d’accès aux concours externes, faciliter
l’accès aux postes à responsabilité tout au long de la vie grâce à la promotion interne et également permettre le recrutement de profils plus expérimentés mais éloignés de la sphère publique.

2/ Revoir la formation de la haute fonction publique : elle devra conserver une forte dimension opérationnelle, en privilégiant les expériences de terrain, mais devra également développer l’aptitude au travail en équipe et permettre de mieux appréhender les grands enjeux du pays. Vous expertiserez l’opportunité de la création d’un nouvel établissement destiné à assurer un tronc commun de formation initiale pour l’ensemble des futurs cadres de la Nation issus des trois fonctions publiques, sans exclure les corps techniques, avant qu’ils ne rejoignent leur filière de spécialisation et me ferez des propositions sur les différentes catégories de fonctionnaires qui pourraient être appelés à suivre ce tronc commun. Vous formulerez également des propositions sur l’organisation et la localisation de ces différentes filières de spécialisation à partir des écoles existantes. Vous proposerez également des mesures destinées à renforcer la formation continue des hauts fonctionnaires.
Enfin, vous proposerez une articulation pertinente entre le système de formation des hauts fonctionnaires que vous redessinerez avec le monde académique, français et étranger.

3) Dynamiser les parcours de carrière : vous proposerez un nouveau système de gestion des carrières qui donnera moins de place au classement à la sortie d’école, comme c’est aujourd’hui le cas avec le système des grands corps, et permettra de mieux évaluer et sélectionner, à échéances régulières, les hauts fonctionnaires destinés à constituer le vivier des cadres dirigeants de l’État. A cette fin, vous pourrez vous inspirer des modalités de fonctionnement de nos Armées. Ce dispositif de sélection, qui devra comprendre des périodes de formation continue, devra valoriser les expériences de terrain et de proximité et veiller à la diversité et à la parité des profils sélectionnés, et ne pas créer de frein à l’attractivité des carrières. Il devra préserver la simplicité et la souplesse des processus de recrutement sur les emplois supérieurs de l’État. Vous étudierez les modalités d’association à ces processus de sélection des cadres issus de la sphère privée. Ce nouveau dispositif devra conduire à la création de parcours d’excellence, intervenant plus tard dans la carrière.

Vous devrez évidemment prendre en compte les spécificités des magistrats judiciaires, dont l’indépendance et le statut sont régis par la Constitution et la loi organique.

De même, une attention spécifique devra être portée au Conseil d’État et à la Cour des comptes, dont les missions sont garanties par la Constitution, ainsi qu’aux juridictions administratives et financières.

Vous serez appuyé pour cette mission par des personnalités qualifiées qui assurent la diversité des points de vue, ainsi que par plusieurs collaborateurs. Les services du Premier ministre vous offriront le support logistique nécessaire à l’accomplissement de vos travaux.

Je vous demande de me remettre vos propositions d’ici la fin du mois de novembre et vous remercie d’avoir bien voulu accepter cette mission importante.

Je vous prie de croire, Monsieur, à l’assurance de mes sentiments les meilleurs.

SIGNÉ : Edouard Philippe

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Lire aussi l’article du Monde (22 mai 2019) : Frédéric Thiriez : avec la fin de l’ENA, « l’idée est de supprimer la mentalité “grands corps” »