Les agences de l’État en ligne de mire

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Les sénateurs Les Républicains (LR) ont décidé de créer une commission d’enquête sur le coût et l’organisation des agences et opérateurs de l’État, pointant du doigt une prolifération de structures redondantes et une dispersion des efforts, entraînant une diminution de l’efficacité étatique. Cette initiative, annoncée dans le Figaro par Mathieu Darnaud, président du groupe LR au Sénat, vise à mener un audit approfondi des organismes publics. La commission devrait débuter ses travaux en février, pour une durée de cinq à six mois.

Cette démarche s’aligne sur les déclarations récentes du Premier ministre François Bayrou, qui a exprimé la nécessité de rationaliser les agences et opérateurs de l’État afin de réaliser des économies. Il a notamment souligné la prolifération de plus de 1 000 agences ou organes exerçant l’action publique, souvent sans contrôle démocratique réel, créant un « labyrinthe » administratif.

Commission, doublons, rationalisation, fusion, suppression

Mathieu Darnaud a précisé que cette commission d’enquête permettra d’identifier les doublons et de proposer des mesures de rationalisation, pouvant inclure la suppression ou la fusion de certaines structures. Il a cité l’exemple des aides agricoles dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC), gérées à la fois par l’Agence de services et de paiement (ASP) et FranceAgriMer, deux organismes ayant des missions « quasi-similaires ». Cette juxtaposition de structures entraînerait des confusions pour les bénéficiaires, tout en augmentant les délais et les dépenses administratives.

D’autres organismes, dont plusieurs sont sous tutelle de nos ministères, sont également visés par ces critiques venues essentiellement de la droite, LR en tête avec Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse, ou Gérard Larcher, le président du Sénat.

L’ANCT

L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), par exemple, est accusée de concentrer ses efforts sur l’ingénierie et de négliger l’apport direct d’investissements. Selon Mathieu Darnaud, cette approche limite son impact, car l’agence accompagne un nombre restreint de collectivités tout en privilégiant des politiques basées sur des appels à projets.

L’ADEME

L’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) est également dans le collimateur, particulièrement pour « ses missions liées au développement de la finance durable », qui pourraient être confiées à des institutions comme la Banque de France ou l’Autorité des marchés financiers (AMF). Les critiques estiment que le budget conséquent de l’Ademe, dépassant 4 milliards d’euros et mobilisant près de 1.100 équivalents temps plein, devrait être mieux redistribué. Certains membres de la droite, comme Valérie Pécresse, proposent même de transférer son budget aux régions pour une gestion plus efficace et adaptée aux besoins locaux. L’ancien secrétaire général de l’ADEME, Noam Leandri, analyse : « L’Ademe est un bouc émissaire, c’est l’agence la plus connue, la plus visible, celle qui dit qu’il faut changer les comportements. Certains politiques veulent un scalp, montrer qu’ils ont la peau de la transition écologique ».

La CFDT, première organisation syndicale avec 46 % des voix à l’ADEME, rappelle le rôle stratégique de cette agence et l’importance de ne pas abîmer cet outil d’expertise de la transition écologique, si précieux dans la période.

L’OFB

L’Office français de la biodiversité (OFB), établissement public créé en 2019, (ex CSP [Conseil supérieur de la pêche], ex Onema), est un acteur clé de la protection de la biodiversité en France. Il compte plus de 3 000 agents chargés de surveiller et de faire respecter les réglementations environnementales.

Début octobre, la voiture d’un chef de service du Tarn-et-Garonne a été visée par un acte de sabotage. En janvier 2024, sur fond de colère agricole, des manifestants ont tenté d’incendier le siège de l’OFB à Trèbes (Aude). Ces attaques, incendies, pressions et menaces visant les agents et les locaux de l’office, souvent liées à des tensions avec certains secteurs agricoles et de la pêche, fragilisent une institution essentielle à la préservation des écosystèmes.

L’OFB est également la cible des sénateurs républicains ainsi que de Laurent Wauquiez, qui mène une charge virulente contre l’organisme. « Notre objectif est de supprimer l’OFB, qui est un organisme venant contrôler nos agriculteurs avec un pistolet à la ceinture », dénonce-t-il dans une vidéo publiée sur Instagram, en réaction aux poursuites engagées contre un éleveur de Saône-et-Loire accusé d’avoir détruit un barrage de castors.

Pourtant, l’OFB ne se limite pas à une fonction de contrôle : il accompagne également les acteurs économiques et locaux dans leur transition écologique. Réduire ses missions, amoindrir ses moyens ou revenir sur ses dotations reviendrait à sacrifier des ressources essentielles à sa capacité de protéger la biodiversité et de lutter contre les pratiques illégales qui la menacent. C’est ce que rappelle un collectif de personnalités issues d’horizons divers – parmi lesquelles Allain Bougrain-Dubourg, Marylise Léon, Christophe Béchu ou encore, Valérie Masson-Delmotte – dans une tribune appelant à la défense de l’office.

Le CEREMA

Le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) n’échappe pas aux feux des sénateurs et autres politiques.

Créé par fusion des huit CETE, du SETRA, du CERTU et du CETMEF à la suite du Grenelle de l’environnement, pour apporter une expertise technique aux collectivités et à l’État sur des enjeux variés (mobilité, transports et infrastructures, bâtiment, prévention des risques naturels, transition énergétique, sécurité routière et maritime, etc), il est parfois perçu, par certains, comme insuffisamment coordonné avec d’autres opérateurs. Ce manque de coordination engendrerait des chevauchements avec des organismes comme l’ANCT ou l’Ademe. D’ailleurs en avril 2024 Pascal Berteaud, le DG du CEREMA, envisageait déjà une fusion (Acteurs Publics – Avril 2024). Des politiques de droite reprochent au CEREMA un manque de lisibilité auprès des collectivités, qui peineraient à comprendre ses missions spécifiques dans le foisonnement des agences.

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En réaction à ces critiques, les agences concernées défendent leur rôle stratégique et leur gestion financière. Elles mettent en avant leur expertise et leur maillage territorial, tout en explorant des pistes pour améliorer leur efficacité. Parmi les solutions envisagées figurent une meilleure coordination inter-agences et des fusions potentielles pour réduire les redondances.

La commission d’enquête sénatoriale, qui s’appuiera sur des travaux d’inspection en cours, sera chargée d’analyser ces exemples pour démêler les éventuels doublons, évaluer les impacts et proposer des mesures concrètes de rationalisation. Les conclusions de ce travail devraient alimenter les débats sur le projet de loi de finances pour 2026, avec l’objectif affiché de renforcer l’efficacité de l’État tout en réduisant les dépenses.

Point de vue CFDT :

La CFDT affirme que, quel que soit l’établissement public concerné, si réforme il doit y avoir, celle-ci ne devra pas être prise sur seul fondement dogmatique et devra prendre en compte la situation et le devenir des personnels et des missions.

Le transfert aux collectivités ne doit pas être a priori la solution comme le revendique la visionnaire présidente du conseil régional d’Ile de France, ces collectivités qui crient ne pas avoir le soutien de l’Etat et qui, quand celles-ci, à peine les transferts de compétence réalisés, se plaignent du manque de moyen pour assurer la tâche. Il n’y qu’à constater le fiasco du transfert de compétences, notamment en Ile-de-France, de l’attribution des aides de l’ANAH.

Un argument est entendable, celui de l’insuffisance de coordination entre les différents opérateurs, par exemple entre le CEREMA, l’ANCT, voire l’ADEME, l’ANAH … Est-ce pour autant que l’alternative est la disparition de ces établissements ? Ne pas croire que la cohérence d’ensemble pourra être assurée par toutes les collectivités territoriales sans une nouvelle débauche de moyens et des plaintes renouvelées d’absence de soutien budgétaire de l’Etat.

Ne pas persévérer, comme cela a été fait avec la loi 3DS, dans la voie du démembrement de la cohésion nationale par l’introduction de « droit d’option » abusivement présenté comme gage illusoire de liberté d’administration des collectivités territoriales. Peut-être en revanche s’interroger sur la qualité du pilotage de ces différents établissements publics ? Est-ce un tabou que de s’interroger sur la nécessaire évaluation des dirigeants sur leur capacité à œuvrer pour une efficacité de l’action publique plutôt que sur leur inclination à vouloir étendre la compétence des établissements dont ils ont la charge, au risque de provoquer des doublons, dans le seul objectif de « prouver » leur capacité managériale ?

Les fausses bonnes solutions pullulent en la matière et la CFDT revendique que soient consultés les corps intermédiaires à l’occasion de l’enquête sénatoriale envisagée.

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Autres points de vue :

 – Jean-Ludovic Silicani :

Jean-Ludovic Silicani, ancien commissaire à la réforme de l’État, appelle, dans une tribune à Acteurs publics, à ne pas oublier les raisons qui avaient poussé à confier des politiques publiques à des opérateurs et à des agences. Revenir en arrière conduirait à submerger les administrations de tâches de gestion. Pas question pour autant de plaider le statu quo.
Lire la tribune « Les agences, responsables ou boucs émissaires des dysfonctionnements de l’État », au format PDF : 

 – Quatre Réseaux de fonctionnaires et 3 syndicats :

Dans une tribune du 29/01/2025, quatre réseaux de fonctionnaires – Le Lierre, Le sens du service public, Une fonction publique pour la transition écologique et le collectif Nos services publics — ainsi que trois organisations syndicales : la CFDT Fonction publique, la FSU et l’Unsa Fonction publique – appellent à maintenir l’Ademe, l’Office français de la biodiversité et l’Agence bio qui sont la cible d’une « partie de la classe politique invoquant notamment le contexte budgétaire« .

 – AEF Info :

Un article  » Affaiblir » l’Ademe, l’OFB et l’Agence bio « ne répond pas aux enjeux budgétaires et d’efficience de l’action publique  » du 29-01-25 en accès libre.

Un article  » Cibles de critiques, certaines agences de l’État élaborent des scénarios de rapprochement à géométrie variable  » du 28-01-25 en accès « abonnés »

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Pour mémoire, une cascade de données :

Depuis plusieurs années, de nombreuses données (nombre d’agences et d’opérateurs, effectifs, masse salariale, financements publics, etc.) sont publiées dans l’espace public de manière parfois accusatrice. Toutefois, ces publications ne prennent pas toujours en compte l’apport de ces structures aux particuliers, aux entreprises et aux collectivités territoriales, que ce soit en aides financières, en conseils ou en expertises techniques. Exemples ci-dessous :

En 2019, une étude de la Fondation IFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) estimait l’existence de 1 200 agences d’État, représentant environ 80 milliards d’euros de dépenses, employant 470 000 agents, avec une masse salariale passant de 25 milliards d’euros en 2012 à 30 milliards en 2017. A l’époque, face à ces chiffres, le gouvernement d’Édouard Philippe avait – déjà – envisagé des réformes pour rationaliser et réduire le nombre d’agences, dans le but de réaliser des économies substantielles.
Avertissement : l’IFRAP est souvent qualifiée de pro-réforme et favorable à la réduction du poids de l’État dans l’économie. Son positionnement est généralement perçu comme libéral, avec une orientation favorable à la dérégulation, la baisse des dépenses publiques et l’efficacité administrative. Ses travaux sont parfois critiqués pour leur vision idéologique marquée. Cependant, elle reste une référence pour ceux qui prônent une modernisation de l’administration et une gestion plus rigoureuse des finances publiques.

En 2023, « En 2023, il y aurait 438 opérateurs, 314 commissions diverses et des centaines de structures employant 479 000 agents en équivalent temps plein. Pour un coût total de 76,6 milliards de financements publics (contre 63 milliards en 2021) », dénonce l’association Contribuables Associés qui note dans une étude de 2023 « des doublons à l’échelle nationale et régionale ».
Avertissement :
L’association Contribuables Associés est un lobby fiscal et un groupe de pression qui milite pour une réduction des dépenses publiques, une baisse des impôts et une meilleure gestion des finances de l’État. Elle se positionne clairement dans une approche libérale et conservatrice, dénonçant ce qu’elle considère comme une gestion inefficace et coûteuse de l’argent public. Son discours met l’accent sur la défense des contribuables contre la pression fiscale et la lutte contre le « gaspillage » des fonds publics. Ses analyses et prises de position sont souvent critiquées pour leur idéologie anti-État et anti-fiscalité, notamment par les syndicats, certains économistes et acteurs du service public, qui jugent son approche simpliste et excessivement anti-dépenses publiques.

Plus rigoureux :

En 2025, au PLF 2025, sont inscrits 434 opérateurs de l’État rémunérant 402 218 emplois sous plafond (en équivalents temps plein travaillés) et bénéficiant de 77 milliards d’euros de financement publics. En annexe de ce projet de loi de finances 2025 (jaune), un rapport sur les opérateurs de l’État (678 pages) a été établi. Il dresse un état des lieux détaillé, il :

  • Recense les opérateurs par mission et programme, ainsi que leurs financements et effectifs.
  • Présente leur endettement, le cadre juridique des emprunts et leurs engagements hors bilan.
  • Fournit des données financières et RH sur trois ans (budgets, ressources, effectifs, masse salariale, trésorerie, immobilier).
  • Liste les opérateurs créés ou supprimés récemment.
  • Indique les dix plus hautes rémunérations pour chaque opérateur de plus de dix employés.
  • Classe les opérateurs selon leur statut administratif.

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Un peu d’histoire :

Les agences de l’État français ont émergé dans les années 1960, sous l’impulsion du ministre de l’Économie Wilfrid Baumgartner, avec la création des « administrations de mission ». Ces structures spécialisées et temporaires visaient à répondre à des besoins spécifiques, comme l’illustrent la fondation de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) en 1967 par Jacques Chirac, alors secrétaire d’État à l’Emploi, et celle de l’Agence nationale de valorisation de la recherche (Anvar) la même année, initiée par le professeur Ponte.

Au fil du temps, d’autres agences ont été établies pour diverses raisons :

  • Répondre à de nouvelles politiques publiques : Par exemple, l’Agence pour les économies d’énergie, créée en 1974 après le premier choc pétrolier sous l’égide de Valéry Giscard d’Estaing, et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) en 2004, initiée par Jean-Louis Borloo pour la réhabilitation des quartiers sensibles.
  • Gérer des crises : L’Agence française de lutte contre le SIDA, fondée en 1989 par Claude Évin, alors ministre de la Santé, en est une illustration.
  • Coordonner des politiques décentralisées : L’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), créée en 2006 par Dominique de Villepin, Premier ministre de l’époque, et dissoute en 2015, en est un exemple.
  • Moderniser l’administration : L’Agence de Mutualisation des Universités et des Établissements d’enseignement supérieur ou de recherche (AMUE), créée en 1992 sous l’impulsion de Lionel Jospin, visait cet objectif.

Une agence est une structure autonome et opérationnelle chargée de mettre en œuvre une politique publique pour le compte de l’État. Elle est créée par une loi ou un décret et assure des missions administratives, d’expertise, de financement ou de prestation de services. Selon une étude du Conseil d’État de 2012 intitulée « Les agences : une nouvelle gestion publique ? », une agence possède trois caractéristiques principales :

  1. Autonomie et responsabilité dans la mise en œuvre d’une politique publique.
  2. Unicité dans son domaine d’intervention.
  3. Soumission aux instructions et au contrôle financier de l’État.

Les agences se distinguent des autorités administratives (ou publique) indépendantes (AAI ou API), telles que le Défenseur des droits (DDD) ou la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui sont indépendantes, ainsi que des opérateurs comme les universités ou les musées, qui proposent un service sans avoir une responsabilité exclusive.
Dans les API (autorité publique indépendante), une des plus connues est l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) qui par exemple est à l’origine de l’exclusion fin février, sur la TNT, des chaines de télévision C8 et NRJ12. L’Arcom est issue de la fusion du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et de la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi).

Il n’existe pas de statut unique pour les agences, qui peuvent prendre diverses formes :

  • Établissement public administratif (EPA) ou établissement public industriel et commercial (EPIC).
  • Groupement d’intérêt public (GIP).
  • Associations ou sociétés.

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Sources : Vie-Publique, Public Sénat, Sénat, Assemblée Nationale, La lettre, La lettre des Maires, Fondation IFRAP, Le Figaro, Le Monde, AEF Info, Banque des Territoires.
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