Le vote des fonctionnaires aux élections 2024 ou la fin de la gauche d’Etat

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En septembre 2024, le CEVIPOF – Centre de recherches politiques de Sciences Po a publié une note de recherche consacrée aux élections européennes et élections législatives 2024 intitulée « Le vote des fonctionnaires aux élections 2024 ou la fin de la gauche d’Etat ». Luc Rouban, directeur de recherche CNRS, y analyse l’évolution des comportements électoraux des fonctionnaires en France (et des salariés du privé) lors des scrutins de 2024. Il met en lumière le fait que le RN s’est durablement installé au sein des fonctions publiques.

Contexte historique et sociopolitique des fonctionnaires :

Historiquement, les fonctionnaires en France étaient fortement ancrés à gauche. Ce phénomène est expliqué par la construction des services publics, notamment l’école, qui incarnait les idéaux républicains d’égalité, souvent en opposition à une démocratie bourgeoise et libérale. Cette « gauche d’État » attirait les diplômés et constituait un soutien pour le Parti socialiste dans les années 1980. Toutefois, les élites administratives, issues de grandes écoles, ont toujours été plus orientées à droite, plus proches des milieux d’affaires.

Évolution du vote des fonctionnaires :

Les réformes libérales et l’intégration européenne ont progressivement brouillé la distinction entre secteur public et secteur privé. Depuis la présidence de François Hollande (2012), une évolution notable s’est produite, marquée par une baisse du vote à gauche au profit du centre et de la droite, avec une montée du vote pour le Front national (FN), devenu le Rassemblement national (RN).

Élections européennes de 2024 :

Lors des élections européennes de 2024, une nette progression du RN s’observe dans toutes les fonctions publiques, y compris chez les enseignants et les chercheurs, des groupes autrefois plus éloignés de ce type de vote. Malgré cette montée, la gauche modérée fait un retour remarqué, notamment avec la liste de Raphaël Glucksmann (19 % des voix dans la fonction publique d’État (FPE)), tandis que la gauche radicale de la France insoumise (LFI) perd du terrain (7%). Le centre-droit (Renaissance) recueille environ 15 % des suffrages dans les différentes fonctions publiques, et l’extrême droite atteint 33 % des voix.

Élections législatives de 2024 :

Contrairement aux européennes, les élections législatives de 2024 voient un recul de la gauche unie dans le cadre du Nouveau Front Populaire (NFP), avec des scores moins élevés que prévu, même si la participation reste importante. La progression d’Ensemble ! (coalition macroniste) est notable, surtout chez les fonctionnaires, où elle atteint 25% dans la FPE contre 15% aux européennes. Cependant, la droite radicale (incluant le RN et Reconquête !) continue d’affirmer sa présence, obtenant environ 31 à 34% des voix dans les trois fonctions publiques.

Second tour des législatives :

Le second tour des législatives est marqué par le succès d’un « front républicain », qui permet à certains candidats de la gauche d’éviter des défaites face au RN. Toutefois, le RN parvient à rassembler des parts importantes de l’électorat, obtenant 36 % dans la FPE, 39 % dans la fonction publique territoriale (FPT), et 41 % dans la fonction publique hospitalière (FPH).

« L’échec de la social-démocratie”

Au premier tour des législatives, les candidats du Nouveau Front populaire (NFP) ont obtenu un score plus bas que celui obtenu aux européennes. À titre d’exemple, les candidats de gauche ont recueilli 32 % des suffrages chez les fonctionnaires de l’État contre 38 % au premier tour de la présidentielle de 2022 et 37 % aux européennes. À l’inverse, le vote pour la coalition de l’ex majorité présidentielle (les macronistes) a augmenté chez les fonctionnaires. Ce vote est passé de 15 % aux européennes à 25 % au premier tour des législatives anticipées chez les fonctionnaires d’État, de 14 à 19 % chez les fonctionnaires territoriaux et de 16 à 23 % chez les fonctionnaires hospitaliers. C’est, explique le chercheur Luc Rouban, “l’alignement des gauches sur le leadership de LFI au sein du NFP” qui “a pu rebuter un électorat social-démocrate”, lequel a donc préféré reporter son vote sur des candidats macronistes.

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Conclusions :

Le déclin du vote à gauche parmi les fonctionnaires reflète un affaiblissement de leur statut social et un affaiblissement de l’appareil d’État. La montée du vote RN, notamment parmi les catégories C, témoigne d’une demande accrue d’autorité et d’une moindre réticence à l’égard des carrières offertes par le secteur privé. Ainsi, la gauche d’État, qui fut une ressource pour les partis de gauche, a largement disparu. En parallèle, le vote des fonctionnaires devient de moins en moins distinct de celui des salariés du secteur privé.

En somme, ce texte met en évidence un basculement – peut être durable – du vote des fonctionnaires, autrefois bastion de la gauche, vers la droite et l’extrême droite, signifiant une transformation profonde du rapport entre l’État et ses agents.

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Enquête menée entre le 26 juillet et le 1er août 2024 auprès d’un échantillon de 11.204 personnes, dont 1.476 agents de la fonction publique d’État, 596 agents de la fonction publique territoriale et 390 agents de la fonction publique hospitalière

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