Le grand débat, un grand défouloir sur la fonction publique
Publié leLe grand débat, un grand défouloir sur la fonction publique (Acteurs Publics – 25-01-19)
Par Bastien Scordia
Effectifs, statut, rémunérations, temps de travail… La radicalité est parfois de mise dans les propositions publiées sur la plate-forme du “grand débat national”. Passage en revue des pistes avancées par les contributeurs pour un “grand lessivage” dans la fonction publique.
“Il ne doit pas y avoir de tabou.” Les Français ont pris au mot la formule présidentielle dans leurs propositions au “grand débat national” lancé par le gouvernement en réponse à la crise des “gilets jaunes”. Ouvert depuis mardi 22 janvier sur la plate-forme numérique du grand débat, l’espace de “contributions” foisonne en effet d’idées pour le moins disruptives et radicales pour la fonction publique.
Si certains contributeurs plaident bien sûr pour la revalorisation de la situation des agents publics (via une augmentation des salaires ou des effectifs), nombreux sont surtout ceux qui réclament un dynamitage en bonne et due forme de la fonction publique. Quitte parfois à multiplier les idées reçues et à tomber tout bonnement dans le fonctionnaire bashing. Sans arguments, la plupart du temps.
Fonctionnaires “inefficaces”
Florilège : les fonctionnaires sont “inefficaces” et “fainéants”, “certains travaillent, d’autres se la coulent douce” ; ils ne font “que regarder en début d’année combien ils peuvent prendre de congés maladie” ; “il est commode de se déclarer dépressif lorsque le métier que l’on exerce ne nous plaît plus”… “Il faut pouvoir licencier les fonctionnaires qui ne travaillent pas […]. Je suis fonctionnaire, je sais de quoi je parle”, abonde un contributeur.
“Je peux témoigner du dévouement et de l’extrême compétence de l’immense majorité des fonctionnaires, ajoute un autre. Mais je peux hélas aussi témoigner de très nombreuses situations de fonctionnaires totalement inaptes à l’exercice de leurs fonctions que j’estime personnellement de l’ordre à 5 à 8 % des effectifs.” “Ces gens-là ne font rien ou pas grand-chose si ce n’est de perturber le bon fonctionnement du service et/ou de désespérer les collègues de travail animés d’une conscience professionnelle irréprochable”, assène ce dernier.
Enchères sur les suppressions de postes
Sans surprise, la réduction du nombre de fonctionnaires est l’une des principales propositions portées par les contributeurs au grand débat. Certains suggèrent de supprimer 500 000 postes, d’autres 1 million et même, selon le souhait d’un contributeur, “90 % des fonctionnaires”. La plupart, affirme ce dernier, “exécutent des tâches inutiles, juste pour justifier la dépense publique engendrée par leur poste”. Et de proposer notamment la suppression “de quasi toutes les fonctions support” de l’État en les remplaçant par de “l’intelligence artificielle”.
Pour réduire le nombre de fonctionnaires, un autre contributeur recommande de les faire “travailler 40 heures par semaine” en “les payant 38 heures”. La fonction publique “a tout d’une maladie virale qui parasite son hôte, accapare ses ressources et l’affaiblit dans le seul but de se multiplier et d’assurer sa survie”, estime même l’un d’entre entre eux.
Le statut sous le feu des critiques
Le statut en prend lui aussi pour son grade. L’occasion pour les contributeurs de critiquer les “privilèges” de celui-ci et notamment “l’emploi à vie” ou encore à la “possibilité de placardisation”. Quand certains réclament une suppression totale de celui-ci (considéré comme “hors du temps”), d’autres proposent de le réserver uniquement aux missions régaliennes, à savoir pour l’armée, la justice ou encore la police. En contrepartie, l’on pourrait “privatiser les autres fonctions publiques”, juge un contributeur. “Il ne faut pas attendre vingt ans pour le faire, ajoute-t-il. Des entreprises privées sont tout aussi capables de gérer un hôpital, une école. Arrêtons avec tous ces statuts qui ne sont plus d’actualité aujourd’hui.” Ce contributeur dit être un fonctionnaire territorial et déclare qu’un salarié du privé “serait aussi compétent pour effectuer” ses missions actuelles.
Découlant des critiques des contributeurs sur le statut, la suppression du recrutement par concours est aussi vivement plaidée. Il “n’est plus adapté à notre époque, il coûte cher, souligne un contributeur. Les personnes devraient être titularisées ou embauchées en CDI au regard de leurs compétences réelles et prouvées. Il est absurde de recruter par concours, qui ne permet (pas) d’apprécier les réelles compétences sur un poste d’une personne”.
Un autre contributeur propose a contrario “d’interdire aux élus de recruter des fonctionnaires sans concours”. “Actuellement, les élus peuvent recruter sans concours des catégorie C. C’est ainsi leur chasse gardée et ils peuvent comme ils le désirent fabriquer des fonctionnaires alors même que la Constitution oblige en théorie à les recruter par concours pour garantir l’égalité d’accès aux emplois publics. À la place, ils promettent ainsi des postes en vue de se faire élire, de maintenir en poste ou de renvoyer l’ascenseur à des colleurs d’affiches fidèles”, dit-il même.
Shutdown made in France ?
D’autres propositions encore plus étonnantes et radicales sont avancées par les contributeurs. Pour “contribuer au redressement de la dette”, l’un d’entre eux propose ainsi de “ne pas payer les fonctionnaires pendant six mois”. Un autre souhaite que les magistrats, fonctionnaires ou élus soient dans l’obligation de déclarer leur “appartenance à toute société secrète comme la franc-maçonnerie”.
Autre proposition : “faire en sorte qu’un fonctionnaire rapporte à l’État”. Pour y parvenir, l’auteur de cette proposition recommande de “rendre obligatoire” pour toutes les personnes ayant réussi les concours de la fonction publique “l’ouverture d’un compte bancaire à la Caisse des dépôts” ou au “Trésor public”. “Cela permettrait d’avoir une somme d’argent qui rapporterait des intérêts, explique-t-il. En plus, chaque fonctionnaire qui ferait un crédit serait obligé de le faire à cette structure rapportant (à l’État) les intérêts de crédit”.
Par Bastien Scordia