“L’argument budgétaire ne doit pas devenir un alibi à l’inaction”

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Pouvoir d’achat, travail, transition écologique… À la veille d’une rentrée sociale pleine d’incertitudes, Marylise Léon fait le point sur les dossiers prioritaires de la CFDT. Elle exhorte le gouvernement à entendre enfin les préoccupations des travailleurs et de leurs représentants. Sujets que la secrétaire générale de la CFDT a portés auprès du Premier ministre et de la ministre du Travail lors de leur rencontre du 24 septembre.

Par Sabine Izard et Emmanuelle Pirat

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Comment la CFDT aborde-t-elle cette rentrée, dans ce climat politique si particulier, pour ne pas dire délétère ?

Nous connaissons enfin la composition du gouvernement depuis le week-end dernier. La situation n’en demeure pas moins inquiétante. Toute cette période d’incertitude politique et d’inertie depuis le deuxième tour des législatives a affaibli le souffle que l’on a pu connaître au moment des élections avec un fort taux de participation et de fortes attentes des citoyens. Aujourd’hui, le sentiment que les attentes des citoyens ne sont pas prises en compte domine, et cela risque d’alimenter le désintérêt, le fatalisme, voire la colère des citoyens. Car, pendant tout ce temps, ces semaines d’attente d’un Premier ministre puis d’un gouvernement, les sujets sont restés sur la table. Et les difficultés des travailleurs n’ont pas disparu.

“L’enjeu n’est pas seulement celui de la hausse du Smic, mais aussi des revalorisations salariales, des grilles indiciaires, du partage de la valeur, de la reconnaissance du travail par des évolutions de carrière dignes de ce nom…”
Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT

Quels sont justement les sujets et les priorités de la CFDT en cette rentrée ?

La priorité reste le pouvoir d’achat. C’est plus que jamais l’occasion de remettre en avant les enjeux du pouvoir de vivre et du pouvoir de vivre dignement de son travail. Selon la CFDT, l’enjeu n’est pas seulement celui de la hausse du Smic, mais aussi des revalorisations salariales, des grilles indiciaires, du partage de la valeur, de la reconnaissance du travail par des évolutions de carrière dignes de ce nom… Tous ces sujets, nous les avons portés depuis la conférence sociale d’octobre 2023, mais reconnaissons qu’il n’y a pas vraiment eu d’avancées. Au sujet des questions salariales, la dynamique de négociation se révèle insuffisante. Dans les secteurs où la volonté de négocier n’est pas présente, nous plaidons pour que l’État intervienne et conditionne les exonérations de cotisations à l’engagement des entreprises dans des négociations salariales. Nous souhaitons également obtenir des avancées sur la question de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes. Nous demandons la refonte de l’index égalité homme-femme, la transposition de la directive relative à la transparence salariale ou celle sur le partage de la parentalité.

Notre deuxième priorité, c’est le travail et les conditions de travail. Lors de notre Bureau national de rentrée, nous avons justement débattu de ce que devait être notre réponse syndicale aux salariés et agents des fonctions publiques qui nous disent : « On veut avoir les moyens et les leviers pour bien faire notre travail ! ». C’est un sujet clé à travailler en proximité avec les salariés, afin qu’ils puissent s’exprimer sur leur travail et avoir plus de prise.

Notre troisième axe de travail lors de cette rentrée, c’est la réponse aux enjeux de la transition écologique juste, pour accompagner les secteurs d’activité et les équipes qui veulent s’investir dans les changements qui ont eu lieu ou qui vont avoir lieu. Il faut pouvoir anticiper et sécuriser au maximum ces mutations. Clairement, aujourd’hui, nous ne sommes pas suffisamment outillés. Et on ne sécurise pas assez les salariés concernés.

La CFDT veut également faire de la question des jeunes une priorité. Pourquoi ?

Parce que la jeunesse, c’est l’avenir, et qu’il est temps de porter un discours positif sur les jeunes. Il faut en finir avec cette vision de jeunes qui ne voudraient plus travailler. Il n’y a pas forcément de différence générationnelle dans le rapport au travail ; le rapport au travail évolue dans le temps depuis toujours. Il a notamment beaucoup évolué ces derniers temps du fait de la crise Covid. Nous portons aujourd’hui la responsabilité, avec les organisations patronales, de faciliter l’insertion des jeunes dans le monde du travail. Prenons un seul exemple, celui des stages de seconde. C’est une très bonne initiative… mais quand on constate que la moitié des lycéens ne trouvent pas de stage, et quand on sait que ceux qui ne trouvent pas sont aussi ceux dont les parents ne possèdent pas de réseau, ce n’est pas acceptable ! Cela fait partie des sujets que la CFDT voudrait inscrire à l’agenda social.

“Les 64 ans, c’est non. Parce que c’est la mesure la plus injuste. Nous serons prêts à discuter si le gouvernement suspend le recul progressif de l’âge légal de départ en retraite.”

La réforme des retraites revient également dans l’actualité ; certains demandant son abrogation… Comment se positionne la CFDT ?

La CFDT n’est pas favorable à une abrogation pleine et entière de la réforme, car nous avons obtenu des avancées – la revalorisation des petites pensions et la retraite progressive dans la fonction publique, entre autres. Tout abroger ne nous semble pas pertinent. En revanche, et nous le disons depuis le début, les 64 ans, c’est non. Parce que c’est la mesure la plus injuste. Nous serons prêts à discuter si le gouvernement suspend le recul progressif de l’âge légal de départ en retraite. Quant aux propositions de loi qui émergent, notamment du côté de l’extrême droite, je crains malheureusement que cela ne soit que des effets politiques, un brouillage qui vise à alimenter l’instabilité politique. Dit autrement, je ne suis pas sûre qu’il y ait une véritable volonté de répondre à des problématiques très concrètes.

Après l’échec de la négociation Pacte de la vie au travail, qui conditionnait la validité de l’accord d’assurance chômage (conclu en novembre 2023 par les partenaires sociaux) à la négociation sur l’emploi des seniors, l’exécutif a repris la main et proposé sa réforme du régime. Celle-ci est aujourd’hui suspendue… La CFDT y est-elle toujours opposée ?

Aujourd’hui, la CFDT le répète : le système d’assurance chômage n’est pas une variable d’ajustement budgétaire. Et la réforme portée par Gabriel Attal – qui prévoit justement, pour des raisons budgétaires, des baisses de droits des demandeurs d’emploi et durcit les conditions d’entrée dans le régime d’assurance chômage à huit mois de travail au lieu de six – doit être annulée. Nous demandons au gouvernement de reprendre l’accord conclu par les partenaires sociaux en 2023, un accord d’équilibre avec des avancées bénéficiant aux salariés, avancées que la CFDT a portées. Il propose notamment de faire passer la condition d’entrée dans le régime de six à cinq mois. C’est une mesure de justice sociale quand on sait qu’une majorité de primo-accédants à l’assurance chômage sont des jeunes. Mais cet accord est incomplet car nous n’avons pas réussi à avancer en parallèle sur l’emploi des seniors ; il faut donc le compléter d’engagements des entreprises.

Le président du Medef, Patrick Martin, s’est dit prêt à rouvrir la négociation sur le Pacte de la vie au travail. Qu’en pense la CFDT ?

La CFDT est tout aussi prête, à condition de tirer les enseignements de l’échec précédent. Dans cette optique, le patronat doit nous faire des propositions concrètes concernant le maintien en emploi des seniors, car les entreprises doivent jouer le jeu d’embaucher des seniors au chômage ! Si on n’a pas abouti au sujet de la négociation Pacte de la vie au travail, c’est que le Medef ne proposait rien de concret. Donc, oui pour revenir discuter… mais seulement si le patronat a réellement des choses à proposer et se déclare prêt à prendre des engagements.

De nombreux secteurs connaissent actuellement des difficultés, et les plans sociaux s’enchaînent dans les services, l’automobile… Comment vois-tu la situation économique française ?

Il y a plusieurs causes à ces difficultés. Premièrement, la fin des aides liées à la crise Covid. Les entreprises qui étaient déjà en difficulté, mais qui ont réussi à maintenir leur activité grâce à ces aides, s’effondrent car elles n’étaient pas viables. Dans le secteur de l’automobile, c’est différent. Il s’agit d’équipementiers qui subissent de plein fouet les réorientations de la filière, qu’ils n’ont pas anticipées. Dans le textile, il s’agit de groupes tentaculaires qui adoptent une politique sociale low cost. Enfin, le secteur de la grande distribution est fondé sur un modèle économique d’hypermarchés qui ne correspond plus du tout à ce que sont devenues les habitudes de consommation des Français.

In fine, les effets sociaux sont dramatiques dans certains territoires où ces groupes sont parfois le seul employeur. On le voit chez ExxonMobil, qui est en train de fermer sa raffinerie en Normandie. Plus de 600 emplois directs vont être détruits, et autant d’emplois indirects, tout ça sans recherche de maintien de l’activité et avec un accompagnement social a minima de la part d’Exxon. C’est inacceptable !

Nouvelle Commission, nouveau Parlement : l’Europe a également connu récemment de profonds changements politiques, et la France doit s’attendre à des contraintes budgétaires plus fortes et des baisses de crédits… Comment appréhendes-tu cette nouvelle mandature ?

La CFDT n’a pas perdu de vue ces enjeux et reste très investie, notamment au sein du comité exécutif de la Confédération européenne des syndicats (CES). Nous allons continuer de contester les nouvelles règles de gouvernance budgétaire et restons très volontaristes sur la question des investissements dédiés à la transition écologique. L’Europe reste selon nous le bon niveau d’investissement et de solidarité entre les États. Il faut donc un budget qui permette de retrouver, au bon rythme, une réduction des déficits budgétaires ne nous privant pas des investissements nécessaires à la transition écologique juste. C’est en tout cas ce que l’on portera à l’échelle européenne. L’argument budgétaire ne doit pas devenir un alibi à l’inaction. Et les mécanismes de solidarité entre les pays doivent continuer de fonctionner. Nos destins sont liés.

“Notre fil rouge, et ce, depuis de nombreuses années, c’est la proximité avec les travailleurs. Aujourd’hui commence notre action CFDT hors les murs avec ‘Réponses à emporter’.”

Enfin, quels sont les grands enjeux internes pour l’organisation en cette année 2024, qui se termine bientôt ?

Notre fil rouge, et ce, depuis de nombreuses années, c’est la proximité avec les travailleurs. Aujourd’hui commence notre action CFDT hors les murs avec « Réponses à emporter ». Pendant trois jours, du 24 au 26 septembre, les militants CFDT vont à la rencontre des travailleuses et travailleurs, leur parler de leurs droits et répondre à leurs questions au sujet du travail. J’espère que nous ferons au moins aussi bien que l’année dernière ; nous avons eu environ 450 points de rencontre dans toute la France.

L’autre temps fort pour nous, c’est la poursuite de notre campagne auprès des salariés des TPE (Très petites entreprises), qui sont 5 millions à voter à la fin de l’année. C’est d’abord un enjeu pour eux d’accéder au droit constitutionnel d’être représenté. Pour la CFDT, il s’agit de les informer de la tenue de ces élections et de les motiver à voter… Si possible, bien entendu, pour nous ! C’est enfin l’occasion de consolider notre place de premier syndicat de France puisque ces élections compteront dans la mesure de la représentativité, au printemps 2025…

Photos : © Stéphane Lagoutte/Challenges-RÉA et Syndheb

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D’après l’article initialement publié par Syndicalisme Hebdo
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