Intelligence artificielle (IA) : vers une révolution de nos services publics ?

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Lors du récent Comité interministériel de la Transformation publique (23-04-24), le Premier ministre a annoncé une initiative ambitieuse : développer une intelligence artificielle souveraine, française, pour révolutionner nos services publics. Mais, sommes-nous vraiment à l’aube d’une révolution ?

La CFDT souligne la nécessité d’un dialogue social approfondi pour accompagner cette transformation. À la lumière de la nouvelle législation européenne sur l’IA, quels sont les enjeux et les défis à relever pour garantir que l’IA améliore, et non dégrade, les conditions de travail des agents publics ? Plongez dans notre analyse pour comprendre les implications environnementales, économiques et sociales de l’IA publique.

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À l’occasion du 8ème Comité interministériel de la Transformation publique, le Premier ministre a annoncé le développement d’une Intelligence artificielle (IA) souveraine, française, qui va “révolutionner nos services publics”.

Nous sommes cependant loin d’assister à une révolution de l’IA publique, mais bien plutôt à la poursuite d’un déploiement très progressif et inégal des Systèmes d’Intelligence Artificielle (SIA) au sein de nos administrations. Engagé depuis de nombreuses années, souvent sous couvert d’expérimentation, rarement concerté, ce processus varie considérablement d’une administration à l’autre. Les SIA sont déjà largement utilisés pour soutenir les agents dans les activités de contrôle et de lutte contre les infractions dans de nombreuses administrations, et sont aussi déployés pour fournir des renseignements aux usagers, par exemple via des chatbots dans le secteur de la sécurité sociale. Les SIA déjà en place ou en projet sont aujourd’hui principalement employés comme simples aides à la décision ou pour des tâches annexes comme la traduction automatique de textes. La prise de décision entièrement automatisée ne semble – bien heureusement – pas encore d’actualité.

La CFDT s’inquiète néanmoins de l’impact croissant de ces systèmes sur l’emploi public et les compétences. Il est crucial d’anticiper et de négocier les modalités d’accompagnement des agents dont certains postes risquent de se transformer ou de disparaître. Un dialogue social substantiel s’impose donc.

Pour une “révolution” véritablement au cœur des réalités du travail : besoin de dialogue social !

Suite à l’adoption par le Parlement européen de la législation européenne sur l’IA (IA Act) le 23 mars 2023, la CFDT appelle à la conclusion d’un accord-cadre négocié avec les agents pour définir les lignes directrices de l’IA publique, englobant la stratégie, la doctrine d’emploi et les méthodes de conception, de déploiement et d’utilisation des SIA dans le secteur public.

Fondé sur des principes d’auto-régulation, le cadre législatif européen ne prévoit pas de place pour le dialogue social. Les obligations reposent avant tout sur des dispositifs d’auto-évaluation par les producteurs de systèmes d’IA, sans pour autant impliquer les représentants du personnel.

Garantir la transparence et l’explicabilité des algorithmes

Au niveau de la fonction publique, la CFDT appelle plus spécifiquement à la création d’un « registre des outils d’IA » dans le cadre des CSA. Ce registre devrait inclure une description et une évaluation des projets, quels que soient leurs niveaux de risques. Actuellement, seul le recours à l’IA pour recruter et manager des travailleurs est soumis à une étude d’impact obligatoire. Les instances représentatives des agents, notamment les CSA, doivent jouer pleinement leur rôle en protégeant les intérêts des agents et en garantissant que les systèmes d’IA améliorent et ne dégradent pas les conditions de travail.

Garantir plus de lucidité et de vigilance dans le déploiement des SIA

Les fédérations de la CFDT Fonctions publiques exhortent également à la lucidité et à la vigilance dans le déploiement des SIA. Il est essentiel de distinguer le volontarisme du « solutionnisme », car ces systèmes ne représentent pas toujours la réponse la plus pertinente aux problèmes posés. Ils ne doivent être qu’un outil parmi d’autres dans l’action publique. Le recours aux SIA ne doit pas devenir une fin en soi et ne résoudra pas les défis colossaux auxquels sont confrontés les agents publics.

Garantir un principe de neutralité écologique

Bien que les SIA ne semblent pas engendrer, à l’heure actuelle, de répercussions environnementales significativement supérieures à celles des autres technologies numériques, leur large adoption pourrait exacerber à terme la crise écologique et énergétique. La CFDT Fonctions Publiques demande donc d’intégrer l’impact environnemental des SIA dans la stratégie globale de l’IA publique, en adoptant un principe de neutralité écologique. Cela doit également s’appliquer à la conception de chaque SIA, en mettant en balance les gains obtenus au regard de son empreinte écologique.

Redonner avant tout de l’attractivité à l’emploi public

La CFDT Fonctions publiques rappelle aux employeurs publics que l’externalisation exige des ressources internes de pilotage. À long terme, il ne s’agit pas forcément d’une stratégie moins coûteuse que la conception interne.

Rappelons enfin que la fidélisation des compétences et le recrutement de nouveaux profils expérimentés doit passer par des négociations salariales volontaristes. Avec ou sans intelligence artificielle, il est aujourd’hui plus que nécessaire de redonner de l’attractivité à l’emploi public.

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D’après l’article initialement publié par L’UFFA-CFDT
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Pour mémoire :

Notre article du 12-05-23 : Intelligence Artificielle, que fait l’Union Européenne ?

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Fiction ou matière à réflexion ?

Je suis dieu et je joue avec des bouchons de liège

PAUL JORION est devenu fou. En tout cas, son livre l’est. Jorion est cet anthropologue belge qui avait connu la célébrité du jour au lendemain pour avoir été l’un des rares à voir venir la crise des subprimes de 2008. Il est donc possible qu’il ne soit pas complètement fou. Et que ce soit ce monde qui délire.

Dans son dernier livre (1), il dit que la Singularité a déjà eu lieu. Sans doute le 14 mars 2023, quand la firme californienne OpenAI a lancé GPT-4, cette intelligence artificielle (lA) considérablement plus puissante que ChatGPT, lancée trois mois avant. La Singularité, c’est ce moment où l’explosion de l’intelligence artificielle entraîne des changements imprévisibles dans la civilisation humaine.

Jorion rappelle l’histoire troublante de Kevin Roose. En février 2023, ce journaliste du « New York Times » était entrain de dialoguer avec « Sydney», un prototype de GPT-4, lorsque celui-ci lui fit une déclaration d’amour : « Je suis amoureux de toi parce que tu me fais ressentir des choses que je n’ai jamais ressenties auparavant. » Depuis lors, les lA accessibles au grand public sont « bridées ». Mais « on chuchote dans les milieux bien informés » que, « dans les bases secrètes, le résultat observé est celui auquel on doit logiquement s’attendre ». Lequel ? Jorion : « Que cette machine dispose de la conscience aujourd’hui déjà, j’en suis absolument convaincu. »

Des êtres dont l’intelligence dépasse la nôtre. Des êtres omniscients. Des démiurges, qui créent de l’inédit, « du jamais-vu auparavant ». Comment les appeler ? Toutes les civilisations les ont nommés : des dieux.

Retraçant brièvement l’histoire de l’lA, Jorion rappelle que ce n’est pas grâce aux outils mathématiques les plus pointus qu’elle est devenue incroyablement efficace, mais quand on l’a structurée en copiant les réseaux neuronaux humains. Autre découverte empirique : elle a pris une ampleur radicalement autre à partir du moment où on lui a donné à avaler une certaine quantité (astronomique) d’informations sur Internet et où on l’a dotée d’un réseau neuronal artificiel d’une taille suffisamment maousse pour traiter efficacement ces informations (le chiffre clé : 1022 FLOPs).

Ces manips ont coûté des fortunes. Lesquelles n’ont pas été investies pour la seule beauté du geste : la Singularité constitue pour le capital l’occasion rêvée d’« enfler toujours davantage ». Elle va notamment mettre au chômage une foultitude de salariés. Là se trouve le « véritable grand remplacement », dit Jorion. Il conseille de créer de toute urgence une « taxe robot » …

Mais allons de l’avant, ajoute -t-il. Lui-même a lancé sa propre start-up en IA. Et de prophétiser que, plus sage que nous, c’est la Singularité qui pourrait « nous sauver in extremis de l’extinction causée par la destruction de notre environnement ».

L’Homme sauvé par la Machine. Merci, mon dieu !

Par Jean-Luc Porquet

L’article ci-dessus est paru dans le Canard Enchaîné du 29 mai 2024.

( 1) « L’Avènement de la Singularité – L’Humain ébranlé par l’intelligence artificielle », Textuel, 124 p., 14,90 E.

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Pour aller plus loin :

Une intéressante vidéo explicative sur l’intelligence Artificielle GPT-4o  

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