Fonction Publique : un pouvoir d’achat en berne

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Depuis 2010, le pouvoir d’achat des 5,7 millions d’agents stagne. Le gel du point d’indice s’est presque institutionnalisé. La fonction publique d’État (FPE), la territoriale (FPT) et l’hospitalière (FPH) en payent aujourd’hui le prix. Les trois versants font face à un déficit d’attractivité alarmant.

« Nous ne sommes pas le nid à privilèges que certains s’évertuent à décrire. » Secrétaire générale de la CFDT Fonctions publiques, Mylène Jacquot ne décolère pas face aux déclarations à l’emporte-pièce sur les fonctionnaires qualifiés de « planqués » ou de « privilégiés », alors qu’il est devenu de plus en plus difficile de recruter dans le public, tant les conditions de travail se sont dégradées.

Les données de l’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) sont éloquentes. Dans la fonction publique d’État, le pouvoir d’achat a baissé de 2,2 % sur un an. À la territoriale, la baisse est de 1,1 % ; à l’hospitalière, de 0,4 %. La lente érosion de la rémunération des fonctionnaires et contractuels se poursuit donc, année après année. Rappelons que le point d’indice a été gelé dix fois lors des quinze dernières années. Seule la fonction publique hospitalière a eu droit à un véritable coup de pouce grâce à la signature par la CFDT du fameux « Ségur de la santé » dans les mois qui ont suivi la crise Covid-19.

Plus 50 euros en dix ans

Cette baisse quasi généralisée du pouvoir d’achat des agents s’inscrit dans la continuité d’une décennie morose. Entre 2011 et 2021, le salaire net moyen des fonctionnaires et contractuels (en prenant en compte l’inflation) n’a progressé que de 2,1 %, contre 4,9 % dans le privé. Concrètement, en dix ans, le salaire net mensuel moyen en euros constants des agents publics est passé de 2 381 euros à 2 431 euros (+ 50 euros), contre une hausse de 175 euros dans le privé.

« Hors rattrapage conjoncturel, comme avec le Ségur, on observe un décrochage de la fonction publique face au privé », confirme François-Xavier Devetter, économiste et professeur à l’université de Lille, qui rappelle la difficulté à brosser un portrait précis tant il existe des disparités entre le public et le privé, entre les différents versants du public eux-mêmes et entre les fonctionnaires et les contractuels.

Si la rémunération nette moyenne d’un agent de catégorie A, tous versants confondus, est de 3 181 euros en 2022, elle varie entre 3 001 dans la FPH à 3 434 euros dans la FPT. Elle reste néanmoins loin derrière les niveaux du privé, où la rémunération nette mensuelle moyenne pour un cadre est de 4 570 euros.

Concernant la catégorie B et son équivalent « profession intermédiaire », on se situe à 2 518 euros contre 2 752 euros. Entre la catégorie C et la population ouvrière du privé, l’écart est moindre mais on observe tout de même un léger différentiel en faveur du privé en 2022 (2 030 euros contre 2 004 euros). Mais, là aussi, il existe des disparités entre les versants.

60 000 postes vacants

« D’une manière générale, si on ne considère que le strict aspect rémunération, il reste plus intéressant de travailler dans le privé. Néanmoins, l’arbitrage salarial n’est souvent pas le seul déterminant pour les travailleurs qui se dirigent vers le service public, explique François-Xavier Devetter. Ils sont aussi nombreux à privilégier le sens du service public. Par ailleurs, le public offrait jusque-là de meilleures opportunités en termes de conditions de travail, de temps complets ou de maintien dans l’emploi, ce qui n’est plus tout à fait vrai aujourd’hui. »

Entre 2011 et 2021, la part de l’emploi contractuel dans la fonction publique (moins protecteur que le statut de fonctionnaire) est d’ailleurs passée de 17 à 22 %.

Le constat global reste donc largement inquiétant et explique en partie que 60 000 postes ne trouvent pas preneurs dans la fonction publique. Dans un rapport publié en décembre 2024, France Stratégie(1) tirait d’ailleurs la sonnette d’alarme sur les conséquences d’un tel écart entre le public et le privé : 15 % des postes ouverts aux concours de la fonction publique d’État n’ont pas été pourvus en 2022, contre 5 % en 2018. Une part de 64 % des collectivités territoriales déclarent au moins un champ professionnel en tension en 2023.

« Derrière ces chiffres bruts, il y a des conséquences bien concrètes, explique Fabrice Kerbiquet, secrétaire de la section CFDT de la Ville de Villiers-le-Bel (Val-d’Oise). De plus en plus de collègues ont du mal à joindre les deux bouts. Certains renoncent à leur mutuelle, d’autres multiplient les heures supplémentaires. » La récente décision du gouvernement de ne pas verser la garantie individuelle du pouvoir d’achat (GIPA), un dispositif prévu pour bénéficier à celles et ceux dont la rémunération ne compense pas l’inflation, et l’absence de mesures générales en 2024 sont deux nouveaux très mauvais signaux.

Une menace pour la cohésion sociale

Si l’absence répétée de revalorisations salariales dignes de ce nom pénalise d’abord les agents, elle est aussi une menace pour la cohésion sociale, souligne France Stratégie :« La crise d’attractivité [des métiers de la fonction publique] a d’ores et déjà des conséquences concrètes sur la vie des Français, qui pourraient s’aggraver du fait des professeurs non remplacés, des difficultés d’accès aux soins dans certains territoires et d’une dégradation des conditions d’accueil de la petite enfance comme des plus âgés. »

Alors que le budget 2025 semble entériner un énième gel du point d’indice, la fonction publique ne se fait guère d’illusion quant à l’évolution du pouvoir d’achat à court terme. Les agents publics ont beau être une richesse pour notre pays, les politiques les réduisent encore trop souvent à un coût. La bataille culturelle n’est pas gagnée.

Par Guillaume Lefèvre

1 – Institution autonome placée auprès du Premier ministre qui a pour objet d’éclairer sur les enjeux sociaux, économiques et environnementaux.

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D’après l’article initialement publié par CFDT Magazine
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Pour mémoire :

Notre article du 26-09-24 : Le pouvoir d’achat des agents publics en berne

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