Dématérialisation, rémunération des fonctionnaires… la réforme de l’Etat dévoilée
Publié leDématérialisation, rémunération des fonctionnaires… la réforme de l’Etat dévoilée (Le Monde du 29-10-18)
Par Benoît Floc’h (Le Monde)
Le gouvernement reprend la main sur la réforme de l’État. Lundi 29 octobre, le premier ministre devait donner « la vision » de l’exécutif en matière de transformation des services publics. Pour marquer le coup, Edouard Philippe devait s’exprimer devant une quinzaine de ministres et de secrétaires d’État, à Paris, lors d’un comité interministériel de la transformation publique. Puis ensuite prendre la parole devant les chefs de projet nommés pour superviser chaque chantier ouvert.
« On a mis à profit ces derniers mois, notamment en s’appuyant sur les travaux de CAP 22 [Comité action publique 2022], pour dessiner ce cap, explique-t-on dans l’entourage d’Edouard Philippe. Nous allons expliquer le chemin que l’on souhaite emprunter. » Les trois quarts des recommandations de CAP 22 sont reprises, assure l’exécutif, citant les réformes de l’audiovisuel public, du système de santé, la transformation de l’administration fiscale, l’accompagnement des entreprises par les chambres de commerce et d’industrie.
L’aboutissement de ce plan a pourtant été laborieux. Cette réunion se tient avec six mois de retard. Depuis que la réforme de l’État, appelée « Action publique 2022 », a été lancée en octobre 2017, le gouvernement a vu son agenda perturbé. Certes, la concertation sur la réforme de la fonction publique, lancée lors d’un premier comité interministériel, en février, suit son cours. Mais, pour le reste, rien ne s’est passé comme prévu. Après avoir été tant attendu, le rapport fantôme du Comité action publique 2022 a fini par fuiter dans la presse en plein cœur de l’été, tandis que le gouvernement cherchait par tous les moyens à l’enterrer. Le deuxième comité interministériel, qui devait déjà permettre au gouvernement de faire connaître ses choix, semblait ne plus être la priorité. Jusqu’à présent, donc.
Le programme présenté lundi est ambitieux. D’abord parce que le constat dressé est sans concession. Le lien entre usagers et administration s’est abîmé : 45 % des Français perçoivent une dégradation de la qualité des services publics, rappelle Matignon, qui s’appuie sur un sondage Ipsos de février 2017. Quant aux agents publics, « la succession des réformes de l’Etat depuis vingt ans les a parfois conduits à perdre de vue le sens de leurs missions ». « Il y a urgence, aujourd’hui, à transformer plus profondément et différemment nos services publics », ajoute le document de présentation que Le Monde a pu consulter.
Développer la polyvalence des fonctionnaires
Le gouvernement doit résoudre une équation compliquée : réussir la numérisation de l’administration tout en rendant l’État plus présent pour les citoyens, alors qu’il s’est engagé à supprimer 50 000 postes de fonctionnaires d’État d’ici à 2022. Le sentiment d’abandon réel dans de nombreuses parties du pays, notamment dans les campagnes, du fait de la disparition des services publics, pousse le gouvernement à chercher des solutions. Et qu’il écoute.
Un site, Vox usagers, permettra, dès 2019, de donner son avis, de faire part de difficultés et « de consulter les réponses apportées par les administrations ». Matignon rappelle par ailleurs que la loi « droit à l’erreur », adoptée en août, s’inscrit dans la même logique : « accompagner plutôt que sanctionner, et réduire le nombre et la durée des contrôles ».
Le gouvernement souhaite également développer la polyvalence des fonctionnaires et multiplier les occasions de les rencontrer. L’idée est que les citoyens trouvent près de chez eux, dans les maisons de services au public, les maisons de santé, voire des camping-cars, comme c’est actuellement expérimenté dans le Lot, des agents capables de répondre à toutes leurs questions, de les orienter et de les aider à effectuer leurs démarches en ligne.
Car la dématérialisation de l’administration va se poursuivre. L’objectif demeure que 100 % des services publics soient « dématérialisés » en 2022. Le numérique fait peur, note Matignon, mais 75 % des Français utilisent un smartphone et 66 % effectuent leurs démarches, notamment administratives, en ligne.
Lundi, le gouvernement devait annoncer une nouvelle vague de services accessibles sur Internet : dépôt de plainte, obtention du casier judiciaire, inscription au collège, expérimentation de dématérialisation des ordonnances chez le médecin, bail numérique à l’horizon 2020, etc. Un « test de positionnement numérique » des élèves sera organisé dès la classe de seconde, et un outil d’accompagnement et d’entraînement en français et en mathématiques pour les élèves sera développé. De même, leur contrôle continu sera de plus en plus dématérialisé. La télémédecine sera, elle aussi, favorisée.
Assouplir la gestion des personnels
Pour relever ce vaste défi, le gouvernement va mettre la pression sur les fonctionnaires. Ils devront produire moins de textes. « Alors que dans le passé, une centaine de décrets étaient pris chaque année, seulement dix-huit normes réglementaires ont été adoptées entre septembre 2017 et septembre 2018, compensées par la suppression de quarante et un textes, note Matignon. Le nombre de circulaires publiées est passé de 30 000 à 10 000. »
Par ailleurs, le gouvernement promet de clarifier ses missions : à lui la conception des politiques publiques, le contrôle et l’animation. Pour le reste, tout ce qui peut être transféré aux collectivités locales et aux opérateurs le sera. L’objectif est aussi d’assouplir la gestion des personnels et de donner davantage de libertés aux manageurs publics, toujours dans une logique de contractualisation. « Le maître mot, c’est le contrat », insiste-t-on à Matignon. Ils pourront, par exemple, recruter plus facilement. « Ils percevront une enveloppe de crédits et pourront en disposer pour embaucher », notamment des contractuels, précise-t-on de même source.
En contrepartie, une part de variable, « qui sera assez forte », sera instituée dans la rémunération des hauts fonctionnaires. Ils subiront moins de contrôles a priori, mais devront davantage rendre compte de leur action. Le gouvernement rappelle d’ailleurs sa volonté de publier une batterie d’indicateurs qui permettront de jauger l’efficacité des services publics. Une « université de la transformation publique » sera créée pour former les cadres et l’« état d’esprit d’innovation » promu, notamment par la création de « start-up d’État » dont le rôle sera de porter des « projets numériques innovants ».
D’ailleurs, le gouvernement mise également sur l’intelligence artificielle et les « robotic process automation » afin « d’automatiser les tâches répétitives et à faible valeur ajoutée (traitement de factures, demandes de subventions, etc.), pour que les agents se concentrent sur le service à rendre aux usagers ».
Recours accru aux contractuels
L’ensemble de ces mesures doit rendre l’État plus efficace, mais aussi permettre de réduire la dépense publique de trois points de PIB et de supprimer les 50 000 postes de fonctionnaires d’État, objectifs tous deux réaffirmés. La concertation lancée en février avec les fonctionnaires va prochainement s’achever. Parmi les sujets discutés : le dialogue social, le recours accru aux contractuels, la rémunération au mérite et les plans de départ volontaire.
Sur Europe 1, dimanche, le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé que les agents qui feront ce choix pourront percevoir jusqu’à « vingt-quatre mois de salaire » et auront « la possibilité de toucher le chômage, ce qui n’était pas aujourd’hui possible pour les fonctionnaires ». A l’image de ce qui a été fait avec les militaires qui souhaitent quitter les armées, une « agence de reconversion » sera créée pour les aider. Un fonds de 50 millions d’euros permettra d’accompagner le processus.
Par Benoît Floc’h (Le Monde)