Abondance des nouvelles numériques, flot de l’information : les français submergés
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La Fondation Jean-Jaurès, Arte, l’ObSoCo (Observatoire Société & Consommation) ont mené plusieurs enquêtes (2022-2024) sur un phénomène de fatigue de plus en plus préoccupant en France, en Europe, aux USA… Plus d’un Français sur deux, face à l’abondance des nouvelles numériques, sont totalement submergés, ils ne parviennent plus à maîtriser le flot de l’information, faire le tri entre les nombreux médias, choisir l’information fiable, pluraliste au service de la démocratie.
Le rapport tiré de ces enquêtes met en lumière un phénomène croissant : la fatigue informationnelle. L’explosion des canaux d’information, la multiplication des notifications et l’infobésité conduisent une majorité de Français à ressentir une surcharge cognitive face au flot continu d’informations. Ce phénomène affecte aussi bien la santé mentale des individus que la qualité du débat démocratique.
Des bouleversements majeurs dans la consommation d’information
- 92 % des Français sont connectés à Internet (contre 52 % en 2005).
- L’usage des réseaux sociaux pour s’informer est en forte hausse : 67 % des Français les utilisent.
- Chaque individu consulte en moyenne 8,3 canaux d’information différents, avec une préférence pour la télévision (89 %), les réseaux sociaux (83 %) et la radio (82 %).
- La consommation d’information est devenue plus fragmentée et éclatée, avec une forte dépendance aux plateformes numériques et aux chaînes d’information en continu.
Une fatigue informationnelle qui touche plus d’un Français sur deux
- 53 % des Français déclarent souffrir de fatigue informationnelle, dont 38 % « beaucoup ».
- La surcharge informationnelle entraîne des difficultés à hiérarchiser et assimiler l’information, créant stress, confusion et parfois rejet de l’actualité.
- 49 % des jeunes et des personnes souhaitant s’informer activement ressentent une pression accrue pour trier et comprendre les informations.
- Même les plus fatigués restent captifs des réseaux sociaux. Il s’agit pour eux d’une forme de divertissement, mais ils récoltent des bribes d’information comme sur Instagram ou TikTok. Ces populations subissent, elles aussi, le caractère anxiogène de ce flux continuel. Il en résulte une information dégradée, avec le rôle des influenceurs et des nombreux usagers qui créent leur propre information avec des applications comme WhatsApp ou Télégram où circulent un flot continu de fausses nouvelles et de propos intégristes, complotistes et populistes. Pourtant il existe une forte demande d’avoir accès à une information correctement vérifiée et hiérarchisée qui permette de comprendre et de traiter les faits de manière équitable, surtout chez les jeunes.
Cinq profils de Français face à l’information
Le rapport identifie cinq grandes catégories de consommateurs d’information :
- Les « hyperconnectés épuisés » (17 %) → Jeunes, urbains, très actifs sur les réseaux sociaux, ils subissent une fatigue intense due à une consommation compulsive d’information.
- Les « défiants oppressés » (35 %) → Plutôt des femmes et des personnes modestes, ils se sentent submergés et méfiants envers les médias.
- Les « hyperinformés en contrôle » (11 %) → Personnes âgées et aisées, très engagées mais maîtrisant leur consommation d’information.
- Les « défiants distants » (18 %) → Fortement méfiants envers les médias et le politique, ils se sentent impuissants face aux événements.
- Les « NSP-NC »(ne sais pas – non concernés) (20 %) → Peu intéressés par l’actualité, ils se tiennent volontairement à l’écart.
Conséquences et stratégies de protection
- Stress, anxiété et déprime sont plus fréquents chez les personnes souffrant de fatigue informationnelle.
- 77 % des Français déclarent limiter ou arrêter de consulter l’actualité par moments, principalement à cause des débats trop agressifs (34 %), du manque de fiabilité des informations (32 %) et de l’impact négatif sur leur moral (31 %).
- Certaines stratégies émergent pour limiter la surcharge : désactiver les notifications (53 %), limiter la télévision (30 %), surveiller son temps d’écran (27 %).
Propositions et perspectives
Pour les médias : repenser la production et la diffusion de l’information
Le rapport met en avant la responsabilité des médias dans la surcharge informationnelle et propose plusieurs axes d’amélioration :
- Réduire l’effet « fast news » : Trop d’informations sont produites dans un format fragmenté et anxiogène, sans hiérarchisation claire. Il est suggéré d’adopter des formats plus réfléchis, permettant une meilleure assimilation des contenus.
- Créer des offres éditoriales « finies » : À l’image des newsletters thématiques ou de formats comme Le Un, il s’agit de proposer des sélections d’actualités limitées mais approfondies, permettant aux citoyens de s’informer sans être submergés.
- Limiter la surenchère des notifications et du « breaking news » : Trop d’alertes instantanées contribuent à la fatigue et au stress informationnel. Certains médias commencent à expérimenter des notifications plus ciblées et pertinentes.
- Encourager un journalisme de suivi et d’analyse : L’information est souvent trop rapide, un sujet chassant immédiatement l’autre sans réel approfondissement. Il est recommandé d’accorder plus de place à l’explication et au suivi des événements.
Exemple : Développer davantage de formats longs (documentaires, enquêtes, analyses de fond) plutôt que de privilégier des micro-articles ou des contenus sensationnalistes.
Pour les citoyens : adopter une « hygiène informationnelle »
La surcharge informationnelle est aussi une question d’éducation et d’habitudes personnelles. Le rapport recommande des stratégies pour mieux gérer sa consommation d’actualité :
- Limiter son exposition aux flux continus : Se fixer des moments précis pour s’informer, éviter la consommation compulsive et les « scrolls infinis » sur les réseaux sociaux.
- Désactiver les notifications non essentielles : Beaucoup de Français commencent déjà à le faire (53 %), et cela pourrait être encouragé davantage.
- Privilégier des sources fiables et vérifiées : Savoir reconnaître les médias sérieux et recourir aux outils de fact-checking pour éviter la désinformation.
- Pratiquer le « jeûne médiatique » temporaire : Faire des pauses régulières dans la consommation d’information pour préserver sa santé mentale et éviter l’anxiété.
Exemple : À l’image de la tendance du « digital detox », instaurer des moments « sans écran » ou réserver des créneaux précis pour s’informer.
Pour les pouvoirs publics : une reconnaissance de la fatigue informationnelle comme enjeu sociétal
Le rapport suggère que la fatigue informationnelle soit traitée comme une question de santé publique et de démocratie, avec des actions concrètes :
- Renforcer l’éducation aux médias dès le plus jeune âge, en enseignant aux élèves comment s’informer de manière critique et responsable.
- Encadrer les pratiques des plateformes numériques pour limiter les algorithmes favorisant la surcharge d’informations et le contenu sensationnaliste.
- Soutenir le journalisme de qualité par des aides ciblées aux médias qui privilégient l’investigation et l’analyse plutôt que le flux incessant d’actualités courtes.
- Lancer des campagnes de sensibilisation pour aider les citoyens à mieux gérer leur consommation d’information et éviter le « burn-out médiatique ».
Exemple : Inspiré par la transition alimentaire (« manger mieux et moins »), il s’agirait de promouvoir une « transition informationnelle » où les citoyens consomment moins d’informations, mais de meilleure qualité.
Conclusion : vers une « écologie de l’attention »
L’un des points-clés du rapport est la nécessité de repenser notre rapport à l’information comme on repense notre rapport à l’alimentation ou à l’environnement. Inspirée des travaux du philosophe Yves Citton, cette idée d’ »écologie de l’attention » repose sur une approche plus consciente et mesurée de l’information, où l’on privilégie la qualité à la quantité.
En résumé, le rapport appelle à :
Une responsabilité accrue des médias dans la hiérarchisation et la diffusion de l’information.
Un effort individuel des citoyens pour développer une hygiène informationnelle saine.
Une intervention des pouvoirs publics pour limiter les excès du modèle numérique et encourager le journalisme de qualité.
Ces changements viseraient à restaurer un rapport plus équilibré et apaisé à l’information, essentiel pour la santé mentale des individus mais aussi pour la vitalité démocratique.
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